vendredi 19 mai 2017

Journée de pêche

L'extrait qui suit est un défi relevé sur le forum de bêta-lecture Cocyclics. Les conditions étaient les suivantes : écrire un texte ne dépassant pas les 5000 secs (signes espaces compris) avec pour thème suivant : "journée de pêche". Autant dire qu'en tant qu'auteur d'un cycle de fantasy, la concision n'est pas mon fort, mais je reste tout de même satisfait du résultat.

J'ai profité de l'occasion pour m'entraîner à la narration à la première personne. Pour le coup, j'ai choisi Diggs comme protagoniste, dont la gouaille me motivait bien. L'extrait se déroule alors du point de vue du meilleur ami d'Ice, lui aussi parti parcourir Occide pour son examen, accompagné de sa camarade : Azur.

– Raah…
Merde. Ça m’a échappé. Les borborygmes qui retentissent sous ma brioche font déjà suffisamment de boucan pour que je me permette de râler par-dessus. Ajoutons à cela que c’est entièrement à cause de bibi si l’on se retrouve en pleine cambrousse sans la moindre ration, et j’ai toutes les raison de ne pas la ramener. Saletés de lougliers… Juste un petit moment d’inattention aura suffi pour que je retrouve l’extérieur de notre campement comme un lendemain de soldes. Inventaire de nos denrées : Nada ! Que dalle. Walou. C’est qu’elles sont voraces ces saloperies ! Bon, laisser la nourriture à l’extérieur de la tente durant la nuit entière ne représentait pas non plus l’idée du siècle…
– L’est superbe ce fleuve.
J’en ai rien à foutre du fleuve, mais ce silence est pesant. Devant moi, Azur acquiesce d’un hochement de tête. Son regard se jette par-dessus son épaule gauche, glissant sur la surface lisse du cours d’eau. Mes yeux quant à eux, trouvent meilleur spectacle dans l’ondoiement de sa longue chevelure céruléenne, caressant les herbes de la berge au rythme de la brise. Ce n’est pas seulement l’angle de vue, j’en ai testé des biens plus intéressants. Son regard, son visage, ses cheveux, ses formes… Si sa beauté avait une saveur, il y a longtemps que je m’en serais fait péter le bide.
Encore des gargouillis. Je me surprends à remarquer qu’il ne s’agit pas des miens.
– T’as les crocs toi aussi, hein ? On marche depuis des heures.
Aucune réponse, pas le moindre geste de tête. Je te connais Azur, tu détestes mentir alors tu ne diras pas non. Comme tu ne diras pas oui non plus, de peur que je me sente responsable à cause de ce qui s’est passé hier. À notre réveil d’ailleurs, tu ne m’as adressé aucun reproche ni la moindre grimace.
À quoi penses-tu Azur ? Maudit soit ce jour où ta voix a disparu en même temps que ton sourire ! Depuis, j’ai du mal à ne pas m’en vouloir d’être amoureux. Mais rien à faire, chaque fois que je tente de te rendre heureuse, j’y vois une opportunité pour me rapprocher de toi. J’ai parfois les boules que mon ordre des priorités s’inverse.
C’est moi qui pense trop. Tant que ça nous est profitable à tous les deux, autant joindre l’utile à l’agréable. Faut que je rattrape ma bévue d’hier soir !
– Allez, faisons une pause ! je lui propose, en effaçant d’un trot le mètre qui nous sépare.
Un bras enlaçant ses épaules, je tends le second pour lui désigner un arbre près de la rive.
– Je me charge de trouver quelque chose à grailler. T’as qu’à te la couler douce en attendant. Parlant de couler… pourquoi t’en profiterai pas pour te baigner ? Promis je regarderai pas !
Plus gros comme mensonge, tu meurs. Elle me hausse un sourcil, doublé d’une moue ironique. J’en suis ravi. Du coude, je lui donne une bourrade avant de l’abandonner au pied de l’arbre.

En vrai, j’aurais été incapable de trouver à bouffer dans ce trou paumé. Mon assurance venait de ce pêcheur que j’avais aperçu au loin. Y va bien me filer une ou deux poiscailles, non ? Quoiqu’il doit être immunisé au regard de merlan frit…
C’était sans compter ma carte de D.O. Le mec se mouille même pas à la lire en plus ! m’élevant direct au rang de Défenseur confirmé. Non pas que ça me dérange, mais tout mon speech sur la jeune fille affamée tombait finalement à l’eau. Le revers de cette chance, c’est que ce gugusse est bredouille. Alors je m’assieds au bord du ponton, entre sa chaise pliable et sa glaciaire qui pue. Le gars a l’air content, à en croire son débit de paroles. Il me raconte ce qui l’a mis à la pêche, en quoi ça l’aide à ne faire qu’un avec la nature… Je m’en bats les flancs, mais d’une force ! Mais comme j’ai besoin de bouffer, je fais mine de partager sa passion. Quand il me parle de sa ligne à deux de doigts de casser, je m’assure que ça n’arrive pas en lui insufflant une bonne grosse dose de mana. Le gars me zieute avec des soucoupes comme ça, avant de me remonter une bestiole de la taille de mon tronc. Si avec ça, Azur me saute pas au cou ! Quant au gars, il se sent tellement plus pisser qu’il insiste à m’offrir sa canne. J’accepte, j’ai pas envie qu’il me tienne la jambe pendant une plombe.

Quand je lui tends ma pêche miraculeuse sous le nez, Azur vire au blanc linge. Evidemment qu’elle est dégoûtée, elle est végétalienne, connard. Bien ouej, Diggs. Bien ouej. Je sais pas quoi faire d’autre pour me rattraper si ce n’est rejeter le cadavre à la flotte. Aussitôt, la ligne de la canne se tend. J’ai oublié de détacher le pichon… Je tente de le remonter, jusqu’à ce que je me rende compte que ce con vient de servir d’appât pour quelque chose de bien plus gros. Un truc suffisamment maous pour m’emporter au fond du fleuve. La logique aurait voulu que la ligne casse, heureusement j’avais eu la glorieuse idée de la renforcer.  Une ombre (pas le poisson) m’étreint, et je suffoque doublement.


Je rouvre les yeux, réveillé par une chaude sensation étreignant mes lèvres. Le visage d’Azur m’apparait en gros plan, mort d’inquiétude. Et moi, je suis de nouveau pris en tenaille entre la satisfaction et le regret.

dimanche 15 janvier 2017

Extrait #7 : La menace diaphane.

De retour à l’extérieur, l’adolescent se mit à la recherche d’un plan de ville. Il ne tarda pas à trouver son bonheur au centre d’une petite place. D’après la carte, la cité se décomposait en quelques grands quartiers, selon une structure pyramidale, tout autour du mont Wyn. Le secteur administratif se situait quant à lui dans la partie supérieure de la ville, accessible en train ou en monorail. Ice opta pour la seconde option, plus longue mais moins coûteuse. Il se dirigea sur l’un des quais surélevés, où allaient et venaient s’arrêter d’étroits wagons, glissant sous les larges poutres qui serpentaient Blanche-Cité. Une cité immense pour un nombre immense de transports… La Forêt de Péridot ne lui avait pas paru aussi labyrinthique. Au moins, là-bas, il avait dû compter sur ses pieds qui le guidaient là où il décidait d’aller.
Une navette arriva. Ice se rapprocha d’un pas hésitant, soudain assailli par le doute. Finalement, il préféra faire demi-tour pour s’assurer une énième fois de son itinéraire auprès d’un passant. Cela devait bien faire la dixième personne lui confirmant ce trajet… Soit. Mais tout de même ! La manière naturelle avec laquelle ils avaient tous acquiescé pouvait très bien avoir été un gage de désinvolture ! Ice soupira, crispé. Tant pis, il devrait s’en assurer tout seul.
Cinq minutes plus tard, à laisser l’adolescent en proie à ses hantises, le quai accueillit une nouvelle desserte. Ice s’aventura à bord du monorail, les yeux rituellement fixés entre la liste électronique des arrêts et les vitres du wagon vide. Les portes coulissèrent et la navette reprit son ascension. Sans rails sur lesquels s’allonger, celle-ci semblait tout bonnement s’envoler. Ice laissa l’altitude et le panorama le griser, oubliant peu à peu cette sensation acide qui lui rongeait jusqu’ici les tripes.
Le mont Wyn se dressait en une véritable tour urbaine, non moins naturelle : un géant minéral, corseté par le fer, le ciment et l’acier. Le génie humain s’était toutefois abstenu de conquérir le pic enneigé, comme le démontraient ses plus hauts versants, encore vierges.
Ice continuait de contempler la ville depuis son aplomb, quand une vision insolite capta subitement son attention : celle d’une avenue entièrement prisonnière sous d’épaisses couches de glace. Le froid avait avalé trains, métros, et autres wagons dans un immense estomac diaphane, engouffrant jusqu’à la toiture des bâtiments. Ice cheminait d’un regard hagard les immenses plaques de givres qui tapissaient les rues et recouvraient les façades. Celles-ci semblaient converger autour de plusieurs tunnels ferroviaires, encagés derrière de longues canines glaciales. Toutefois le gel n’avait pas tout pétrifié, comme le témoignaient les nombreux engins utilitaires ferraillant aux quatre coins du quartier. Quartier administratif qui plus était, dans lequel l’adolescent arrivait enfin. Sur le quai, Ice hésita. Lui valait-il mieux se rendre aux bureaux de l’Égide, ou passer en premier lieu à la mairie ? La mairie était plus proche.
Le hasard avait voulu que cette zone ait été épargnée des ravages. Dommage, l’épéiste se faisait une joie de progresser entre les murs congelés. La municipalité de Blanche-Cité n’avait rien de comparable à celle de Tal, qui à côté, avait l’air d’un simple chalet. Celle de la cité ressemblait bien plus à un manoir, sur lequel on avait placé les armoiries de la ville, bien en évidence, sous la forme de drapeaux ornés d’une corne d’abondance, accrochés haut sur la façade du bâtiment.
Le garçon fut, pour changer, aussitôt remarqué dès son entrée dans le hall. Un homme, aux allures de majordome, l’interpellait déjà.
– Ah, vous êtes là !
Ice se désigna du doigt, l’air badaud.
– Euh, moi ?
– Vous, monsieur. L’Égide nous a confirmé la visite d’un Défenseur, et vous êtes assidûment ponctuel. Le maire vous attend.
L’homme tendit le bras pour désigner un escalier tapissé. Ice haussa les épaules et se laissa accompagner. Décidément, l’Égide s’assurait toujours d’avoir une longueur d’avance. Il n’avait même pas eu besoin d’utiliser son TRM pour les contacter ! Tant mieux, ce gadget lui avait sérieusement pris la tête quand il avait tenté d’envoyer son dernier rapport.
Une fois l’étage traversé, le secrétaire frappa à l’ultime porte d’un couloir, avant d’annoncer le Défenseur d’Ozma. Une voix stricte et formelle traversa la cloison.
– Faites-le entrer !
– Je vous en prie, s’exprima le gentilhomme avec un petit geste de main.
Ice le remercia et pressa la poignée.

mardi 15 novembre 2016

Extrait #6 Un bistrot, deux ivrognes, et une mauvaise nouvelle...

Contexte : Ice arrive au nord d'Émeral, et atteint le chef lieu de la région d'Albia : Blanche-Cité, une ville réputé pour son réseau ferroviaire traversant l'ensemble des chaînes montagneuses jusqu'à la frontière du pays. L'adolescent décide d’asseoir son corps fatigué à l'une des tables d'un café-restaurant : le Dahu-Bohu.

À peine eut-il le temps d’entrer puis de s’installer à une table, que le jeune homme fit de nouveau l’objet des regards curieux de la clientèle. Ice détestait attirer l’attention, aussi il devait s’accoutumer à exhiber son titre sur sa poitrine. Or le plus gênant pour lui dans cette affaire, c’était cette tendance qu’avaient les gens à tout de suite l’élever au rang de DG confirmé, titre qu’il n’usurperait pour rien au monde quel que soit son mérite. Personne ne prenait la peine de lire attentivement sa carte, laquelle précisait pourtant son statut d’élève en examen. « Mais ce n’est pas si grave », il supposa muettement, « après tout, je suis tenu d’agir selon les principes et les qualités d’un véritable Défenseur… ». 
En l’attente d’un serveur, Ice s’empara du menu. Il interrompit très vite sa lecture, distrait par le bulletin d’information diffusé sur l’un des écrans de télévision suspendu derrière le comptoir.
– … c’est hier, en soirée, sur l’archipel d’Higashi, que la centrale de Hanada s’est fait prendre d’assaut par le célèbre oiseau de foudre, Atmos. Suite à l’attaque de l’immense créature, la zone a été aussitôt évacuée avant d’être encadrée par un large périmètre de sécurité. Aux dernières nouvelles, Atmos se terrerait toujours au cœur de la centrale. Les forces de l’Égide quant à elles, font leur possible pour…
– Faut y aller au lance-flamme avec cette saloperie ! grommela un homme assez négligé debout au comptoir. Faudrait m’expliquer pourquoi l’Égide tient absolument à le laisser en vie. Avec tout ça… on est pas dans la merde.
Son voisin, qui soutenait le bar avec tout autant de rigidité, enchérit :
– C’est sûr, ah c’est sûr ! Encore là, ça va : le truc se promène surtout sur le continent de Septentrio. Mais attends qu’il décide de descendre sur Occide !
– Ouais bah loin d’ici si possible, on en a déjà assez comme ça ! Le Zodiaque qui attaque les Terres de l’Eau, ce foutu piaf qui refait des siennes, sans oublier ces saloperies de golem de Glace qui bousillent maintenant notre ville…
Le sang du garçon aux cheveux de neige ne fit qu’un tour. Avait-il seulement bien entendu ? Ice décida de s’en assurer, et quitta sa table en direction du bar.
– J’vais t’dire un truc : avec tout ça, on est pas dans la merde.
– C’est sûr, ah c’est sûr.
– Excusez-moi, fit l’adolescent en s’imposant entre les deux hommes, j’ai cru entendre vous plaindre des golems de glace. Y aurait-il un souci dans la région ?
Les deux clients le dévisagèrent hautainement, de sa poitrine jusqu’à la pointe de ses cheveux, en passant par le cyan glacial de ses iris.
– Et comment mon p’tit, répondit celui à sa gauche, ça fait des mois que la ville se fait attaquer par les golems vivant en haute montagne.
– T’es pas du coin hein ? constata le second avec une mine amusée. J’imagine que t’es un p’tit jeune en formation envoyé par l’Égide. Tu ferais bien de faire un tour dans le quartier administratif, c’est là où se trouvent leurs bureaux. Sinon tu peux aussi bien te rendre à la mairie… Depuis le temps que le maire se casse le dos à obtenir le soutien des DG pour se débarrasser de ces foutus blocs de glace ambulants…
– Je vois. Je vous remercie.
Le garçon fit volte-face, regagnant sa table l’air soucieux. Il s’empressa de commander son repas et de l’engloutir séance tenante, le portefeuille déjà en main. Il avait plus qu’une addition à régler.
Le battant de l’entrée se referma calmement, désigné par le hochement de tête condescendant d’un des deux sphinx avinés.
– Hé dis donc, y viendrait pas du pays des glaçons le gamin ? Vu sa tignasse…
– Faudrait pas qu’il prenne la mouche, lui répondit son voisin la main immuablement rivée sur son verre.
– Si même les cryiens nous envahissent… Avec tout ça, on est pas dans la merde…
– C’est sûr, ah c’est sûr.

lundi 31 octobre 2016

Extrait #5 Comme l'impression d'être observé...

Suite directe du précédent extrait.

« Peu importe » il fit en mettant fin à l’enregistrement, cela ne le concernait plus. Sa mission consistait à libérer Tal du joug des brigands et cela était à présent fait accompli. Quand bien même… il aurait préféré assister à un dénouement moins macabre. Ice balaya la zone du regard. Qu’allait-il faire de tous ces corps ? Ils étaient certes des brigands, mais pour lui, chacun demeurait égal devant la mort. Malheureusement, il ne pouvait pas se permettre de sacrifier son temps à ériger autant de sépultures ; l’examen ne consistait peut-être pas en une course contre la montre, l’échéance des tournois du Colisée n’en demeurait pas moins réelle. Une minute était une minute… tant pis, l’Égide s’occuperait certainement des corps, ou peut-être quelqu’un d’autre. Était-ce le fait d’y penser maintenant qui lui donnait cette soudaine et désagréable impression d’être observé ?
L’épéiste continuait d’explorer les lieux du regard ; personne ne semblait le guetter. Or, après un examen plus approfondi, il découvrit avec stupeur la silhouette d’un bandit lui faisant dos, debout à l’angle d’une paroi échancrée. L’homme s’appuyait contre les pierres, manifestement blessé par l’un des chocs électriques. Ice se précipita vers le brigand qui sursauta aussitôt. Ce dernier ne tenta pas de prendre la fuite, bien que l’envie se lût facilement sur son visage.
– Vous êtes blessé, vous feriez mieux de retourner à Tal avec moi.
– Te fous pas de moi… tout ça c’est d’ta faute, maugréa le malfrat en refusant la main du garçon.
– Vous devriez assumer la responsabilité de vos actes, vous étiez conscient des risques et des peines encourus par vos activités… Quant à vos confrères, je suis désolé, mais c’est l’assassin qu’il faut blâmer.
Le bandit soupira tout son dédain, le regard noir et haineux.
– Pfff, ça pisse à peine debout et ça parle déjà comme une saloperie de légiste.
L’adolescent ne s’essouffla point à converser plus longtemps avec un tel gibier de potence. Il haussa le ton et lui somma de l’accompagner jusqu’au village. Le truand pesta de plus bel, mais obéit. Et histoire de le garder à l’œil, Ice l’invita à mener la marche. Toujours résigné, le truand avança en premier, l’adolescent sur ses talons. Tandis qu’ils quittaient l’enceinte de la forteresse, Ice en profita pour récupérer sa lanterne dans les sous-bois. Quand soudain…
– C’était quoi ça ? s’exclama le malfrat.
Ce dernier tremblait à vue d’œil, les yeux rivés sur des branchages encore vacillants.
– Sûrement un hibou, supposa Ice.
– Pas moyen, rejeta le malfrat, c’était trop rapide ! On aurait dit comme un drap rouge accroché entre les branches…
– Il n’aurait pas disparu si c’était le cas, commenta Ice en reprenant la route d’un pas désinvolte. Allez, avance.

Le truand grommela, il savait très bien ce qu’il avait vu ! L’insensibilité de ce mioche aux cheveux blancs commençait royalement à lui porter sur les nerfs. En attendant, c’était à lui d’ouvrir la marche dans cette forêt lugubre ! Si ça se trouve, il ne faisait que lui servir de bouclier humain ! Plus il pensait, moins il se sentait rassuré. Derrière, Ice soupirait, excédé par la couardise de ce nigaud. Il lui prêta sa lanterne, pourvu qu’il accélère et cesse de frémir comme une feuille morte.

jeudi 20 octobre 2016

Extrait #4 L'inconnu au manteau noir

Durant son séjour à Tal, Ice apprend que le village vit sous le joug d'une bande de truand retranchée dans un fort abandonnée de la Forêt de Péridot. L'épéiste s'y infiltre et parvient à défaire leur chef : un inquiétant bouffon à moitié fou. Ce dernier commence à lui révéler qu'il a été employé par un mystérieux personnage à la recherche de quelque chose dans ces ruines. Quand soudain...

Un violent courant électrique traversa subitement le corps atterré du bouffon. L’homme hurlait à en percer des tympans, le corps étreint par les éclairs turquoises d’un carcan vibrant, assez violents pour éclairer l’ensemble du site et ses vestiges alentours.
L’orage se dissipa. Le chef des truands avait cessé ses soubresauts. La lumière d’or, encore visible il y a quelques instants au-dessus de sa blessure, s’était éteinte. Ice se tenait debout, désœuvré, l’odeur de chair brulée lui hantant les narines.
– C’est dingue ça… on te dit de la fermer et tu persistes à l’ouvrir…
Le garçon aux cheveux neige fit volte-face, la colère et l’effarement se lisait dans son regard. Il scruta de long en larges le groupe de bandits, tous craintifs, à la recherche de l’assassin derrière cette voix.
– Là-haut mon grand !
Ice leva la tête vers les vestiges d’une chapelle ravagée. Sous le pinacle ajouré, se silhouettait un long manteau noir, bruissant faiblement, dans le soupir du vent nocturne. Malgré le rideau d’ébène qui couvrait le ciel, ce sombre vêtement parvenait à contraster ses contours grâce à la couleur glauque qui les décorait. Cette teinte viride s’étendait des bords de la cape, aux ourlets des manches, jusqu’aux étranges runes qui chamarraient sa capuche. Il aurait fallu qu’une bourrasque soulève cette dernière, pour espérer entrevoir le visage qui se cachait dessous ; or la brise semblait s’essouffler.
L’homme se tenait assis en hauteur sur le bord du faîte, accoudé contre son genou, jambe croisée par-dessus l’autre. Un courant électrique parcourait encore la main gantée qu’il tendait en direction du feu bouffon. Ice dégaina sitôt son épée, et brandit sa pointe rutilante en direction de l’inconnu.
– Vous n’aviez pas le droit de faire ça ! Le sort de cet homme relevait du jugement de l’Égide !
– Le droit ? répéta l’inconnu d’une voix nonchalante. Sans rire ! Ça doit bien être pratique d’être membre de l’Égide… pouvoir décider de qui a le droit de vivre ou non…
– La peine de mort ne fait pas partie de nos sentences ! rétorqua le garçon.
– OK, donc le truc tranchant qui te sert à me menacer… c’est un outil de jardinage ?
Ice s’offusqua. Est-ce que cet assassin tentait de lui faire la morale ? Évidemment, l’ensemble des bandits appuyaient fougueusement les arguments de leur fameux employeur. Ces derniers commençaient même à se croire sortis d’affaire, malgré le meurtre de leur ancien leader. À bien y réfléchir, cela les soulageait d’autant plus.
- Mon arme n’a pas été forgée dans le but de tuer, mais de défendre quiconque est victime des criminels de votre espèce ! expliqua l’épéiste.
L’homme encapuchonné poussa un soupir excédé, avant de se relever peinardement et sans se soucier du vide qui s’étendait sous ses pieds.
– Y a rien à faire, dit-il en haussant les paumes, le courant passera jamais entre moi et les petits cons dans ton genre, qui brandissent partout leurs épées en se prenant pour des héros ou je ne sais quels foutus justiciers ! 
– Qui peut dire ce qui est juste ou non ?! répliqua Ice vertement en agitant son épée.
– Les cryiens et leur philosophie à la mie de pain, sans rire… Je vais te dire qui décide de la justice (il serra les poings, autour desquels jaillirent des gerbes d’éclairs) : ceux suffisamment puissants pour imposer la leur ! Observe !
L’inconnu leva un bras au ciel d’un geste brusque et menaçant. Le sourire jusqu’ici confiant des brigands s’effaça lentement, à mesure que se dessinait une intimidante raie lumineuse au-dessus de leurs têtes. L’atmosphère s’électrisait, zébrée par de petits arcs turquoise au fourmillement dissymétrique. Puis s’abattit le tonnerre, qui déferla depuis les airs en une véritable pluie d’éclairs. L’orage martelait le sol dans de violents flash aveuglants, mais la foudre avait beau craquer, frapper, gronder, éclater… elle ne put étouffer les hurlements éprouvants des vauriens.
Le calme finit par succéder à la tempête. Ice décroisa lentement les bras de devant son visage et contempla avec effroi tous ces corps jonchant l’herbe brulée autour de lui.
– Monstre ! il hurla à l’homme au lugubre manteau. Quoique tu puisses chercher à me prouver, prends-toi en à moi, pas à eux !
– Oh mais je vais m’en faire un plaisir… !
L’individu encapuchonné tendit de nouveau le bras, cette fois-ci en direction du jeune épéiste. Des arcs électriques zigzaguaient entre ses doigts. Ils convergèrent ensuite dans le creux de sa main, très violemment, au point d’y générer une véritable foudre en boule. Toutefois et contre toute attente, l’orbe vibrant n’eut point le temps d’atteindre sa cible, ni même de quitter la paume de l’inconnu. Il explosa d’abord, après avoir perdu sa lumière turquoise au profit d’un éclat violet. L’homme au manteau noir et glauque tituba deux pas en arrière dans un bref grognement. Il considéra le courant violâtre qui serpentait encore ses phalanges, puis il dit :
– Évidemment, j’aurais dû m’en douter…
Ice se trouvait cependant beaucoup trop bas pour avoir entendu cette réflexion, et restait confus quant à ce qu’il venait de se passer.
– On dirait que t’as du bol ! reprit l’inconnu en haussant la voix depuis le sommet des ruines. J’te fous la paix pour cette fois !
– Quoi… ? At… attends !
Le garçon brandit son trem tout en se ruant vers la chapelle. Hélas son ennemi se volatilisa sous le fracas d’un dernier éclair. Ice ralentit sa course, son appareil levé vers le sommet du bâtiment de nouveau désert.

– C’est quoi cette histoire…

mardi 4 octobre 2016

Extrait #3 L'auberge de Tal

Contexte : Ice poursuit sa traversée de la Forêt de Péridot jusqu'à tomber sur le village de Tal, établi dans une clairière au milieu des bois. Il est accueilli timidement par les villageois quand de gênants borborygmes viennent interrompre sa discussion avec le maire. Le vieillard lui donne alors l'adresse de l'unique auberge du village afin que le jeune homme puisse enfin se sustenter.


Il remercia le vieil homme et salua les villageois avant de diriger ses pas vers l’établissement, à l’est de la place. Il s’y échappait des carreaux une lumière accueillante. Ice y jeta quelques coups d’œil en longeant la façade. L’intérieur n’était pas des plus luxueux certes, mais l’ambiance tamisée des chandelles suspendues sur le plafonnier s’accordait très bien avec la sobriété du décor. Les doux effluves de cuisine stimulaient déjà son appétit aussitôt qu’il eut franchi la porte d’entrée. Deux autres clients, un homme petit et ventru, accompagné d’un plus grand, comblaient le vide du réfectoire. Ice ignora l’insistance de leur regard curieux avec la plus brève des politesses, et s’assit à une table à l’angle d’une fenêtre. 
Gêné par ce silence pudique dont il était vraisemblablement la cause, l’adolescent fit mine de ne rien remarquer et se retourna discrètement vers l’ardoise disposée sur le comptoir. Heureusement, le menu n’était pas suffisamment varié pour qu’il s’appesantisse dessus ; il tenterait cette purée de châtaigne et la soupe aux champignons. Il patienta ensuite en laissant son esprit s’évader, hypnotisé par la flamme dansante de l’unique bougie au centre de la table.
– Bonjour…
Le mot le tira de sa torpeur. Sûrement s’était-il échappé des lèvres frémissantes de cette très jeune femme, qui venait d’apparaître à la table du garçon. Elle le fixait de ses grands yeux ambre vacillants. À en juger son long tablier et ses cheveux safran attachés, elle travaillait ici.
– Bonsoir, répondit Ice sans vouloir la corriger.
– Euh… elle hésita, c’est pour manger ?
– Bah, tant qu’à faire… 
De deux choses l’une : ou bien ce sarcasme était de trop, ou bien la demoiselle était particulièrement timide ; c’est tout du moins ce qu’insinuait sa petite moue gênée. Ice passa donc sa commande en tentant de rester agréable pour ne pas la déstabiliser davantage. La serveuse laissa son client de nouveau seul à table, déjà replongé dans sa contemplation. Elle revint une écuelle à la main, une carafe d’eau dans l’autre, avant d’amener la purée, un verre et un morceau de pain lors d’un second voyage.
La jeunette lui souhaita bon appétit. Quel euphémisme ! Ice engloutit son repas comme le carnaubre aurait dévoré l’écureuil de tout à l’heure. Ce fut l’affaire de quelques minutes. Aussitôt rassasié, la serveuse réapparut devant lui.
– Avez-vous terminé ?
Ice considéra ses assiettes vides, l’air perplexe.
– Je crois, oui…
La serveuse grimaça de nouveau ; c’était donc le sarcasme. Elle débarrassa la table en une fois puis souhaita une bonne soirée à son hôte. L’adolescent s’étira, et se dirigea à son tour vers le comptoir afin de payer l’ardoise. La tenancière échangea sa place avec la jeunette, ce qui permit à Ice d’établir comme un air de famille entre les deux… leurs cheveux avait cette même teinte orangée.
– Cela fera cent trente astras, demanda la tenancière sans autre préambule. 
– Bien s…
L’expression d’Ice se figea. Il tapota énergiquement les poches de son pantalon avant de poser d’un air contrit sa paume sur son front. Il avait oublié son portefeuille dans sa chambre ! Les sourcils de la gérante se froncèrent, effaçant au passage tout doute possible sur le fameux lien de parenté. Assommer ces dames ou s’enfuir en courant risquaient de lui attirer des retours un tant soit peu défavorables dans l’appréciation de son examen. Pas le choix : il devait se résigner à marchander l’un de ses précieux orbes de feu. Or, c’est en la fouillant qu’Ice remarqua que la sacoche offerte par Diggs était plus remplie qu’il ne le pensait. Intrigué, il extirpa l’objet dont le toucher lui rappelait le daim.
Ice arbora un large sourire de soulagement quand il reconnut son portefeuille. Il s’empressa d’en extraire quelques pièces et l’un de ces fameux billets roses, illustrés d’une étoile en son centre. Dans la brusquerie de son mouvement, il avait également retiré un bout de papier plié en quatre. Une fois le paiement effectué, il déplia la note.

« Après tu diras encore que c’est moi le gaffeur ? ».

Le message n’était pas signé mais le petit geste de tête que venait d’effectuer Ice en disait long.

mardi 27 septembre 2016

Extrait #2 : Combat contre un carnaubre

Contexte : Ice continue sa progression au fin fond de la forêt de péridot. Il examine la faune et la flore, mais refuse de se risquer à manger ce dont il ne connait pas la comestibilité, à la grâce d'un écureuil qu'il faillit giboyer.

L’adolescent en profita pour faire une pause, il l’avait bien mérité après tous ces kilomètres parcourus. Il s’assit contre le tronc d’arbre et poussa un profond soupir. Il en avait profité pour ramasser son orbe de feu niché dans le creux d’une racine. Il ferma les yeux et appuya sa tête contre le bois. Quand tout à coup, Ice perçut des vibrations accompagnées de bruits sourds. Quelque chose approchait, quelque chose de lourd. Cependant il ne surgît des feuillages que le petit écureuil de tout à l’heure. La bestiole courait à tout rompre, semblant fuir quelque chose. La nature de sa fugue ne tarda pas à se révéler : une ombre gigantesque se profilait entre les colonnes de bois.
Pendant un instant, Ice crut que cette silhouette appartenait à celle d’un arbre. Or celui-ci avait des jambes, massives comme des troncs, mais aussi des bras, et eux n’étaient pas fins comme des branches. Ice comprit qu’il s’était laissé abuser par l’écorce qui composait (par endroits) la peau de cette créature. Le géant de chair et de bois, avançant, appuya ses immenses paluches contre deux arbres, et glissa sa tête sous leurs rameaux émeraude. Ice put alors découvrir le visage abruti du colosse. Ses yeux grands comme des glands se camouflaient sous une chevelure verte et tombante, semblable à celles des saules pleureurs. Plus aucun doute possible, il s’agissait bien là d’un « carnaubre ». Évidemment, le monstre et l’écureuil se dirigeaient tous deux dans la direction du garçon.
– Ouh… susurra ce dernier, t’es venu te venger ou il est venu te manger ?
Après avoir poussé nombreux glapissements saccadés, l’écureuil se faufila entre ses jambes et s’abrita aussitôt en haut de l’arbre derrière lui. Un départ qui n’était pas du goût du carnaubre, à en juger ses grognements rauque et sa démarche aussi brusque qu’agressive.
– Mouais… fit Ice, désinvolte. C’est p’tête pas le moment de faire de l’esprit.
Puis il se leva tranquillement, en s’étirant, avant de se placer sous le nez du géant.
– Tu n’es pas de taille, il lui annonça à hauteur de ses genoux.
Quand bien même les carnaubres comprenaient assez mal le langage humain, la provocation semblait avoir fait son effet. Tout du moins c’est ce que laissa entendre un nouveau grommellement. Malgré sa carrure quatre fois moins imposante, l’adolescent ne se laissait pas impressionné ; les bras croisés, il attendait, sans même remuer un cil. Qu’il s’agît d’une invitation ou d’une nouvelle provocation, cela importait peu, le géant mettrait un poing d’honneur à lui décocher sa réponse en pleine figure. D’un geste simple et détendu, Ice leva le bras, arrêtant net l’énorme paluche. Hébété, le carnaubre fixait immobile le halo laiteux qui  avait soudain enveloppé le bras du garçon. 
– Cocasse n’est-ce pas ? dit Ice en souriant. Tu as beau être une force de la nature, je contrôle bien mieux son énergie.
Mais son ennemi n’en faisait que peu de cas, il darda son autre poing toujours plus furieusement. C’était sans compter qu’Ice avait lui aussi son second bras de libre, prêt à parer l’attaque avec tout autant d’aisance. L’adolescent pouvait lire toute la hargne du géant sur son visage, là où entre ses immondes blocs jaunis qui lui servaient de dents, filtrait un épais filet de bave jusqu’en bas de son menton bourru et anguleux. Le moindre muscle de ses gros bras gonflaient à vue d’œil, tandis qu’il s’efforçait d’écrabouiller le garçon pris en étau entre ses deux poings. La brume cristalline qui recouvrait plus tôt le bras gauche d’Ice émanait maintenant de tout son corps. Il profita alors des deux murs osseux qui le prenaient en tenaille pour prendre appui au-dessus du sol, et exécuter ainsi une magnifique voltige. Le coup de pied aérien se nicha pile entre les deux narines du carnaubre, qui dans un râle assourdissant, tituba en arrière. Furieux, il serra ses deux poings en l’air, et ciblant l’adolescent telle une punaise, les écrasa par terre. Un vif pas chassé suffit à ce dernier à esquiver le coup, si puissant, qu’il scarifia le sol forestier. Ice, sans perdre une seconde, agrippa le manche de son épée et bondit sur les deux énormes paluches comme sur un tremplin. Il se propulsa vers le cou du géant et…

L’épéiste rengaina son arme. Derrière lui, le carnaubre, étêté, s’écroulait sur son chef dans un bruit sourd.