mercredi 24 février 2016

Premier extrait

Comme je l'ai précisé dans l'article qui lui est concerné, le chapitre 1 et son prologue ne demeurent rien de plus que des premiers jets voué à être inlassablement réécrit. Or ces derniers temps, je pense être arriver à quelque chose de plus ou moins satisfaisant. Si tu as lu l'ancienne version, il y a de fortes chances que tu finisses surpris à la lecture de ces innombrables et lourds changements.

Bien entendu, l'extrait qui va suivre demeure toujours en chantier, et ne prétend à un résultat final digne d'être édité.

Prologue
Cette histoire est celle de Gaïa. Gaïa est ronde, Gaïa est bleu, Gaïa est mère. Elle est une terre de vie, de mythes, de légendes. Au sein de ces innombrables récits apparaît sa genèse, transmise depuis une époque immémoriale et ainsi narrée :

« Jadis, du temps où rien n’avait encore commencé, existait déjà notre monde. Il demeurait à l’image de ce qui l’entourait, vide et sans couleur. C’est alors que surgirent du néant deux astres sublimes : l’un brillant comme l’or, Sol ; et l’autre luisant comme l’argent, Luna. Émus à la vue pathétique de leur cousine, les jumeaux divins décidèrent d’insuffler la vie à l’étoile désolée que fût autrefois Gaïa. Les océans, forêts et montagnes inondèrent bientôt sa surface, amenant en leur sein les êtres qui les peuplent encore de nos jours. Or, de crainte d’une apparente fragilité, Sol et Luna envoyèrent six Grands Esprits pour veiller auprès de la nature et de ses enfants. Sol dépêcha les Esprits du Feu, de l’Eau et de la Terre ; Luna délégua quant à elle ceux du Vent, de la Glace et de la Foudre. Le monde issu de cet équilibre s’emplit alors d’une immense énergie à laquelle nos premiers ancêtres donnèrent le nom de « mana ».
Sol et Luna, une fois leur œuvre accomplie, se prirent d’affection pour les Humains et décidèrent de rester veiller auprès d’eux. Alors les jumeaux dans une parfaite symétrie entamèrent tous deux leur rituelle ronde autour de la planète bienheureuse. Ainsi naquirent le jour et la nuit. Charmés à leur tour, chacun des Esprits choisirent d’apporter amour et protection à six humains et leurs proches. Six familles qui devinrent ensuite six clans, qui fondèrent alors six grands pays, soit six Terres bénies par un élément distinct.
Malheureusement, les gaïens furent incapables de fonder leur foi sous les auspices de l’harmonie. En leur Dieu et Déesse ils virent deux rivaux, plutôt que deux parents. De cette division naquirent deux Églises, Solarienne et Lunarienne, se vouant l’une pour l’autre une haine inextinguible. Commencèrent d’inlassables conflits qui, durant des millénaires, souillèrent Gaïa de larmes de sel et de sang. Aveuglés par leur haine, nos belliqueux ancêtres ignorèrent le chaos qu’ils avaient propagés par-delà même le ciel. Car dans l’éther impénétrable les dieux-astres ne tournaient plus ; ils s’agitaient, inconstants et confus. Quand l’inévitable se produisit : une collision, une fusion, une transformation, celle d’un inénarrable spectre hybride émergeant au milieu d’un plafond enténébré, et amenant avec lui misère et calamités sur le monde. Nul ne put se soustraire à cette désolation, pas même les six esprits impuissants devant l’ire des éléments dont ils demeuraient jusqu’ici les maîtres et gardiens. Déchaînées, les forces de la nature ne firent preuve d’aucune merci. Gaïa se souvient des brasiers infernaux qui immolaient toutes vies, elle se rappelle que d’incessants blizzards pétrifiaient le temps, que la terre s’engouffrait sous des séismes abyssaux. Elle n’a pas oublié ses enfants regardant le ciel se déchirer derrière les plus violents cyclones, fuyant les villes martelées à grands coups de tonnerre, englouties alors jusqu’aux sommets des montagnes par de titanesques lames de fonds.

Cette apocalypse fut à jamais retenue sous le nom d’Eclyps. Puisse-t-elle avoir scellé avec notre passé, les plus irrémissibles de nos péchés. »
A.A

Nous sommes le 3 Glacies 2533 du nouveau calendrier Gaïen, Sol et Luna voguent de plus belle le long de la voûte céleste, et chacun, enfant comme adulte, connait les grandes lignes de ce récit. Certains y voient des faits, d’autres qu’une simple fable, mais tous tremblent à l’idée de jours si sombres. Une seule question demeure : avec quelle encre Gaïa écrira la suite de son histoire ? 
Chapitre 1
Le départ
Au sud d’Occide, continent le plus à l’ouest du monde, le ciel était presque nu. Seulement quelques draps cotonneux, entre lesquels l’astre divin répandait un feu azuré au-dessus d’un océan de verdure. Au cœur de cette étendue vierge siégeait un bien étrange et colossal édifice. Ses murs blancs renforçaient l’éclat matinal qui caressait son enceinte, composée de nombreux bâtiments mitoyens, aux façades renflées et aux toits en pente, leur donnant l’aspect de gigantesques pétales. Enfin, semblable au pistil, une tour trônait au centre de ce bulbe déjà en éclosion. 
Cette construction insolite avait pour nom EFDG, ou « Établissement de Formation des Défenseurs de Gaïa ». Et dans l’une des chambres de cette école dormait un garçon, dont les songes étaient tourmentés par de sinistres souvenirs. Sa mémoire redessinait un décor obscur. L’on devinait la sombreur nocturne à la lumière tamisée qui éclairait la pièce. Quelques commodes renversées jonchaient le parquet, ainsi qu’un cadre dont le verre brisé avait laissé s’échapper une photo de famille. Celle-ci représentait un homme et une femme main dans la main, derrière deux enfants s’amusant dans la neige. L’aîné se tenait debout près du cliché, poings et dents serrés. Il faisait face aux corps inertes de ses parents, allongés sur un plancher écarlate aux pieds d’une silhouette menaçante et souillée par le crime. 
Encore et toujours pris au piège dans cet épouvantable cauchemar, son petit frère se recroquevillait dans le coin de la pièce. On pouvait lire la terreur sur son visage humide et ridé tandis qu’il s’agitait dans son lit, prisonnier du passé. Avant son réveil, il expérimenterait une nouvelle fois la scène la plus solidement ancrée dans son esprit : celle où son grand frère vocifère haine et chagrin au meurtrier.
– Pourquoi vous avez fait ça ?!
– Nous suivons la volonté de Sol.
L’assassin brandit alors sa lame à la teinte grenat dans le but d’achever son office.
– Non ! s’égosilla brutalement l’adolescent.
– Si ! Lève-toi feignasse ! Il est déjà dix plombes du mat’ !
Haletant, le jeune homme découvrit le visage railleur de son compagnon de chambrée.
– Diggs… il soupira.
Ce dernier se tenait à quatre pattes au-dessus de lui, les cheveux longs ébouriffés et dans une tenue se résumant à un caleçon.
– Le seul, l’unique. Une confession à me faire ?
L’adolescent considéra l’allure débraillée de son colocataire avant de lui répondre :
– Ouais, heureux de pouvoir compter sur toi quand il s’agit de se réveiller tôt.
– Doucement l’ingrat ! C’est déjà pas mal que je te tire du lit ! rétorqua Diggs avant de regagner le sol d’un saut agile.
L’adolescent encore somnolent opta plutôt pour les échelons qui séparaient la couchette supérieur de celle du bas. En traversant la chambre, il frappa amicalement du poing l’épaule de son camarade qui se débarbouillait le visage au lavabo.
– Je te laisse prendre la salle de bain Ice. Grouille, ton exam’ débute dans moins d’une heure.
Ice acquiesça en même temps qu’il amassait ses vêtements dans l’armoire adjacente à l’évier. La douche se situait derrière les lits, séparée par un mur. En effet, chaque chambre de l’EFDG avait le luxe d’être équipée de sanitaire, au grand bonheur des étudiants. Comme le temps n’était pas son allié, Ice ne tarda pas sous le confort de l’hydrothérapie matinale. Il fit le choix judicieux d’une douche froide pour se mettre d’aplomb. Sa toilette terminée l’élève enfila aussitôt un jean sombre, une chemise bleue à manches courtes par-dessous un veston noir, et des mitaines de la même couleur.  Il s’installa ensuite devant le miroir pour y coiffer ses cheveux encore humides. Il arrangea de larges épis vers l’arrière de son crâne et jusqu’en bas de sa nuque, puis fit descendre deux mèches pointues à hauteur de ses joues. 
Ice était un garçon de quinze ans, plutôt musclé pour son âge comme la plupart de ses camarades de l’EFDG. La couleur de ses cheveux rappelait la neige des plus hauts sommets, sur lesquels le soleil jetait des reflets lavande. Diggs en revanche arborait une chevelure bien plus vive, d’un rouge bordeaux, qu’il nouait la plupart du temps en une queue basse comme ce fut le cas ce jour-là. Quand bien même fut-il habillé d’un pantacourt et d’une chemise cramoisie très seyante, l’hurluberlu dégageait le même air négligeant qu’au réveil. Il le devait à sa dégaine nonchalante ainsi qu’à son regard constamment à moitié dissimulé derrière une épaisse mèche de cheveux. 
– Prêt, beau gosse ?
Ice referma la porte de la salle de bain, ignorant le compliment.
– T’reste un bon trois-quart-d’ heures avant ton rendez-vous avec le dirlo, reprit Diggs, on se tape la cloche à la cafèt’ ?
Ice hésita, il n’avait ni faim ni confiance en Diggs lorsqu’il s’agissait d’être ponctuel. Mais en vue de la journée qui s’annonçait, le jeune homme jugea bon de faire le plein de calories. Il acquiesça. Avant de partir il se dirigea vers le bureau, où il avait passé de très nombreuses heures à compléter ses devoirs scolaires. Une zone dans laquelle Diggs s’aventurait bien trop rarement à son goût. Mais l’heure n’était plus à l’étude, Ice s’était approché du meuble dans l’unique but de récupérer l’objet qui y était adossé, à savoir son épée. L’arme était rangée dans son fourreau sobre mais solide, lequel dissimulait une lame jamais émoussée malgré cinq rudes années à croiser l’air, le fer et parfois la chair de ses rivaux ; un tranchant intact, preuve du savoir-faire de son forgeron et du soin apporté par son manieur. Sa garde tressée d’un joli ruban de soie bleu n’en était pas moins impeccable, trônant toujours et fièrement derrière l’épaule gauche du jeune homme.
– T’es au courant qu’en plus des tartines et de la confiture, ils servent aussi des couverts ? ajouta Diggs en regardant son ami s’équiper.
– Tu sais aussi bien que moi que c’est la dernière fois que je quitte cette chambre.
– Sois pas si solennel ! On croirait entendre un condamné.
– Eh bien…  fit Ice l’air pensif pendant qu’il rejoignait Diggs devant la porte, la mort reste un risque potentiel. Là non plus, je ne t’apprends rien. Enfin… ce n’est pas comme si j’avais l’intention de mourir.
– Tu m’étonnes ! Si j’étais la faucheuse, je m’y risquerai pas… ajouta Diggs avec une grimace.
– En même temps, tu te risques déjà pas à faire tes draps…
– Dixit le mec qui sait pas se lever tout seul.
    L’épéiste conclut par un « Ok, un partout. » amusé avant de saisir la poignée. En quittant la chambre, les deux garçons aperçurent un petit bout de papier s’échapper de l’entrebâillement. Ice le ramassa sur le seuil.
– Sûrement l’une de tes admiratrices.
– Elles sont fatigantes… soupira le tombeur.
Il déplia la note pour n’y lire que deux mots pour le moins inattendus : « Rappelle-toi » rédigés à l’encre bleue et d’une main très élégante. Aucune signature. De quoi devait-il se rappeler ? Il l’ignorait puisqu’il l’avait oublié.
– Ça dit quoi ? demanda Diggs.
– Que t’es trop curieux.
Ice prit la précaution d’enfouir la note au fond d’une des poches de son jean pour l’éventuel jour de sa rencontre avec l’auteur. Diggs de son côté n’insista pas et s’engagea dans le couloir. Les deux garçons se trouvaient dans le dortoir des hommes, dans l’aile est de l’établissement. L’usage voulait que la mixité en milieu scolaire soit une norme, cependant les règles de pudeur obligeaient les dortoirs des femmes à être localisés dans l’aile opposée de l’école. Ice ne faisait pas partie des adolescents trop facilement victimes de leurs pulsions juvéniles, ainsi il n’avait encore jamais vu la couleur de ces murs. À l’inverse on y avait déjà surpris son colocataire, avec pour seule défense le prétexte de s’être perdu.
Ice et Diggs empruntèrent l’un des ascenseurs au bout du couloir. Ceux-ci consistaient en de simples plateformes circulaires à l’extérieur du bâtiment, qui transitaient entre les étages depuis de larges tubes translucides. Cet alliage vitré était très apprécié des élèves. Ice n’en faisait pas exception, jamais las de contempler l’étendue infinie de la Plaine du Silen qui encerclait l’école.
– Au fait, fit Diggs adossé contre la paroi invisible de la cabine, tu as bien refilé toutes tes affaires à la consigne ?
Ice décolla ses yeux de la mer émeraude et lui adressa un regard railleur.
– Tu joues les nounous ? C’est le monde à l’envers. Ouais c’est fait, j’avais pas grand-chose à leur donner t’façons. À part mes fringues… même nos cours, ça fait cinq ans qu’on les prend sur la plateforme numérique de l’EFDG. Ils ont bien précisé qu’ils transféraient tout sur notre compte de l’ADG. J’imagine que là-bas aussi, les salles de classes sont munies d’ordis.
– Encore faut-il réussir à l’intégrer, l’ADG… envoya Diggs d’une voix pensive.
L’épéiste resta silencieux, absorbé lui aussi par ses réflexions. L’Athénée des Défenseurs de Gaïa… à la fois si proche et si loin… le seul obstacle qu’il lui restait à franchir était cet examen.
L’ascenseur ralentit et le désert herbeux disparut derrière les murs du hall principal, encore visible malgré tout entre les colonnes recourbées du préau. Ice pressa le pas, refusant de s’attarder à discuter avec les nombreux élèves qui fainéantaient par-ci par-là. Les deux garçons quittèrent le hall par un large couloir en plein air, du moins seulement en apparence, puisque les murs et le plafond demeuraient invisibles mais tangibles à l’instar des cabines d’ascenseur. Les jours de pluie, il n’était pas rare de voir les élèves de première année s’ameuter le long du champ de force, tentant tous guillerets d’attraper les gouttes d’eau qui ruisselaient dans le vide. Ice préférait les sentir lui chatouiller le visage, les soirs où il violait le couvre-feu pour s’entraîner au milieu des herbes du Silen.  
– On a le temps de se poser, annonça Diggs en désignant une table dès leur entrée dans la cafétéria.
Ice acquiesça, il n’y avait en effet pas foule au comptoir. Les deux garçons tendirent chacun leur tour un badge au serveur une fois leur commande effectuée, puis repartirent déposer leur plateau au coin d’une fenêtre. Ice entama son petit pain d’un air absent, les yeux tournés vers l’extérieur. 
– Il t’arrive quoi ? T’as l’air encore moins causant que d’habitude, lui lança Diggs en remplissant maladroitement son bol de céréales. C’est dire !
– Va savoir, c’est pas comme si j’allais bientôt passer l’examen le plus important de ma carrière de Défenseur de Gaïa… lui renvoya Ice, accoudé d’un air désinvolte.
– Ta carrière de DG elle est déjà assurée. Mec, j’vois pas pourquoi tu doutes, t’as un CV en béton armé ! Tu cumules les moyennes maximales dans pas mal de matières, et t’es un dieu de l’escrime. Suffit de voir ta dernière évaluation : les élèves sont censés tenir pendant un temps limité, pas battre le prof en cinq minutes !
– Y a une différence entre savoir désarmer quelqu’un dans un duel réglementé et partir sillonner le monde pendant plusieurs mois, rétorqua le prodige. Sincèrement, ce sont ni les monstres ni les combats qui me font peur, mais tout le reste. C’est pas un voyage que je peux me permettre de prendre à la légère.