lundi 31 octobre 2016

Extrait #5 Comme l'impression d'être observé...

Suite directe du précédent extrait.

« Peu importe » il fit en mettant fin à l’enregistrement, cela ne le concernait plus. Sa mission consistait à libérer Tal du joug des brigands et cela était à présent fait accompli. Quand bien même… il aurait préféré assister à un dénouement moins macabre. Ice balaya la zone du regard. Qu’allait-il faire de tous ces corps ? Ils étaient certes des brigands, mais pour lui, chacun demeurait égal devant la mort. Malheureusement, il ne pouvait pas se permettre de sacrifier son temps à ériger autant de sépultures ; l’examen ne consistait peut-être pas en une course contre la montre, l’échéance des tournois du Colisée n’en demeurait pas moins réelle. Une minute était une minute… tant pis, l’Égide s’occuperait certainement des corps, ou peut-être quelqu’un d’autre. Était-ce le fait d’y penser maintenant qui lui donnait cette soudaine et désagréable impression d’être observé ?
L’épéiste continuait d’explorer les lieux du regard ; personne ne semblait le guetter. Or, après un examen plus approfondi, il découvrit avec stupeur la silhouette d’un bandit lui faisant dos, debout à l’angle d’une paroi échancrée. L’homme s’appuyait contre les pierres, manifestement blessé par l’un des chocs électriques. Ice se précipita vers le brigand qui sursauta aussitôt. Ce dernier ne tenta pas de prendre la fuite, bien que l’envie se lût facilement sur son visage.
– Vous êtes blessé, vous feriez mieux de retourner à Tal avec moi.
– Te fous pas de moi… tout ça c’est d’ta faute, maugréa le malfrat en refusant la main du garçon.
– Vous devriez assumer la responsabilité de vos actes, vous étiez conscient des risques et des peines encourus par vos activités… Quant à vos confrères, je suis désolé, mais c’est l’assassin qu’il faut blâmer.
Le bandit soupira tout son dédain, le regard noir et haineux.
– Pfff, ça pisse à peine debout et ça parle déjà comme une saloperie de légiste.
L’adolescent ne s’essouffla point à converser plus longtemps avec un tel gibier de potence. Il haussa le ton et lui somma de l’accompagner jusqu’au village. Le truand pesta de plus bel, mais obéit. Et histoire de le garder à l’œil, Ice l’invita à mener la marche. Toujours résigné, le truand avança en premier, l’adolescent sur ses talons. Tandis qu’ils quittaient l’enceinte de la forteresse, Ice en profita pour récupérer sa lanterne dans les sous-bois. Quand soudain…
– C’était quoi ça ? s’exclama le malfrat.
Ce dernier tremblait à vue d’œil, les yeux rivés sur des branchages encore vacillants.
– Sûrement un hibou, supposa Ice.
– Pas moyen, rejeta le malfrat, c’était trop rapide ! On aurait dit comme un drap rouge accroché entre les branches…
– Il n’aurait pas disparu si c’était le cas, commenta Ice en reprenant la route d’un pas désinvolte. Allez, avance.

Le truand grommela, il savait très bien ce qu’il avait vu ! L’insensibilité de ce mioche aux cheveux blancs commençait royalement à lui porter sur les nerfs. En attendant, c’était à lui d’ouvrir la marche dans cette forêt lugubre ! Si ça se trouve, il ne faisait que lui servir de bouclier humain ! Plus il pensait, moins il se sentait rassuré. Derrière, Ice soupirait, excédé par la couardise de ce nigaud. Il lui prêta sa lanterne, pourvu qu’il accélère et cesse de frémir comme une feuille morte.

jeudi 20 octobre 2016

Extrait #4 L'inconnu au manteau noir

Durant son séjour à Tal, Ice apprend que le village vit sous le joug d'une bande de truand retranchée dans un fort abandonnée de la Forêt de Péridot. L'épéiste s'y infiltre et parvient à défaire leur chef : un inquiétant bouffon à moitié fou. Ce dernier commence à lui révéler qu'il a été employé par un mystérieux personnage à la recherche de quelque chose dans ces ruines. Quand soudain...

Un violent courant électrique traversa subitement le corps atterré du bouffon. L’homme hurlait à en percer des tympans, le corps étreint par les éclairs turquoises d’un carcan vibrant, assez violents pour éclairer l’ensemble du site et ses vestiges alentours.
L’orage se dissipa. Le chef des truands avait cessé ses soubresauts. La lumière d’or, encore visible il y a quelques instants au-dessus de sa blessure, s’était éteinte. Ice se tenait debout, désœuvré, l’odeur de chair brulée lui hantant les narines.
– C’est dingue ça… on te dit de la fermer et tu persistes à l’ouvrir…
Le garçon aux cheveux neige fit volte-face, la colère et l’effarement se lisait dans son regard. Il scruta de long en larges le groupe de bandits, tous craintifs, à la recherche de l’assassin derrière cette voix.
– Là-haut mon grand !
Ice leva la tête vers les vestiges d’une chapelle ravagée. Sous le pinacle ajouré, se silhouettait un long manteau noir, bruissant faiblement, dans le soupir du vent nocturne. Malgré le rideau d’ébène qui couvrait le ciel, ce sombre vêtement parvenait à contraster ses contours grâce à la couleur glauque qui les décorait. Cette teinte viride s’étendait des bords de la cape, aux ourlets des manches, jusqu’aux étranges runes qui chamarraient sa capuche. Il aurait fallu qu’une bourrasque soulève cette dernière, pour espérer entrevoir le visage qui se cachait dessous ; or la brise semblait s’essouffler.
L’homme se tenait assis en hauteur sur le bord du faîte, accoudé contre son genou, jambe croisée par-dessus l’autre. Un courant électrique parcourait encore la main gantée qu’il tendait en direction du feu bouffon. Ice dégaina sitôt son épée, et brandit sa pointe rutilante en direction de l’inconnu.
– Vous n’aviez pas le droit de faire ça ! Le sort de cet homme relevait du jugement de l’Égide !
– Le droit ? répéta l’inconnu d’une voix nonchalante. Sans rire ! Ça doit bien être pratique d’être membre de l’Égide… pouvoir décider de qui a le droit de vivre ou non…
– La peine de mort ne fait pas partie de nos sentences ! rétorqua le garçon.
– OK, donc le truc tranchant qui te sert à me menacer… c’est un outil de jardinage ?
Ice s’offusqua. Est-ce que cet assassin tentait de lui faire la morale ? Évidemment, l’ensemble des bandits appuyaient fougueusement les arguments de leur fameux employeur. Ces derniers commençaient même à se croire sortis d’affaire, malgré le meurtre de leur ancien leader. À bien y réfléchir, cela les soulageait d’autant plus.
- Mon arme n’a pas été forgée dans le but de tuer, mais de défendre quiconque est victime des criminels de votre espèce ! expliqua l’épéiste.
L’homme encapuchonné poussa un soupir excédé, avant de se relever peinardement et sans se soucier du vide qui s’étendait sous ses pieds.
– Y a rien à faire, dit-il en haussant les paumes, le courant passera jamais entre moi et les petits cons dans ton genre, qui brandissent partout leurs épées en se prenant pour des héros ou je ne sais quels foutus justiciers ! 
– Qui peut dire ce qui est juste ou non ?! répliqua Ice vertement en agitant son épée.
– Les cryiens et leur philosophie à la mie de pain, sans rire… Je vais te dire qui décide de la justice (il serra les poings, autour desquels jaillirent des gerbes d’éclairs) : ceux suffisamment puissants pour imposer la leur ! Observe !
L’inconnu leva un bras au ciel d’un geste brusque et menaçant. Le sourire jusqu’ici confiant des brigands s’effaça lentement, à mesure que se dessinait une intimidante raie lumineuse au-dessus de leurs têtes. L’atmosphère s’électrisait, zébrée par de petits arcs turquoise au fourmillement dissymétrique. Puis s’abattit le tonnerre, qui déferla depuis les airs en une véritable pluie d’éclairs. L’orage martelait le sol dans de violents flash aveuglants, mais la foudre avait beau craquer, frapper, gronder, éclater… elle ne put étouffer les hurlements éprouvants des vauriens.
Le calme finit par succéder à la tempête. Ice décroisa lentement les bras de devant son visage et contempla avec effroi tous ces corps jonchant l’herbe brulée autour de lui.
– Monstre ! il hurla à l’homme au lugubre manteau. Quoique tu puisses chercher à me prouver, prends-toi en à moi, pas à eux !
– Oh mais je vais m’en faire un plaisir… !
L’individu encapuchonné tendit de nouveau le bras, cette fois-ci en direction du jeune épéiste. Des arcs électriques zigzaguaient entre ses doigts. Ils convergèrent ensuite dans le creux de sa main, très violemment, au point d’y générer une véritable foudre en boule. Toutefois et contre toute attente, l’orbe vibrant n’eut point le temps d’atteindre sa cible, ni même de quitter la paume de l’inconnu. Il explosa d’abord, après avoir perdu sa lumière turquoise au profit d’un éclat violet. L’homme au manteau noir et glauque tituba deux pas en arrière dans un bref grognement. Il considéra le courant violâtre qui serpentait encore ses phalanges, puis il dit :
– Évidemment, j’aurais dû m’en douter…
Ice se trouvait cependant beaucoup trop bas pour avoir entendu cette réflexion, et restait confus quant à ce qu’il venait de se passer.
– On dirait que t’as du bol ! reprit l’inconnu en haussant la voix depuis le sommet des ruines. J’te fous la paix pour cette fois !
– Quoi… ? At… attends !
Le garçon brandit son trem tout en se ruant vers la chapelle. Hélas son ennemi se volatilisa sous le fracas d’un dernier éclair. Ice ralentit sa course, son appareil levé vers le sommet du bâtiment de nouveau désert.

– C’est quoi cette histoire…

mardi 4 octobre 2016

Extrait #3 L'auberge de Tal

Contexte : Ice poursuit sa traversée de la Forêt de Péridot jusqu'à tomber sur le village de Tal, établi dans une clairière au milieu des bois. Il est accueilli timidement par les villageois quand de gênants borborygmes viennent interrompre sa discussion avec le maire. Le vieillard lui donne alors l'adresse de l'unique auberge du village afin que le jeune homme puisse enfin se sustenter.


Il remercia le vieil homme et salua les villageois avant de diriger ses pas vers l’établissement, à l’est de la place. Il s’y échappait des carreaux une lumière accueillante. Ice y jeta quelques coups d’œil en longeant la façade. L’intérieur n’était pas des plus luxueux certes, mais l’ambiance tamisée des chandelles suspendues sur le plafonnier s’accordait très bien avec la sobriété du décor. Les doux effluves de cuisine stimulaient déjà son appétit aussitôt qu’il eut franchi la porte d’entrée. Deux autres clients, un homme petit et ventru, accompagné d’un plus grand, comblaient le vide du réfectoire. Ice ignora l’insistance de leur regard curieux avec la plus brève des politesses, et s’assit à une table à l’angle d’une fenêtre. 
Gêné par ce silence pudique dont il était vraisemblablement la cause, l’adolescent fit mine de ne rien remarquer et se retourna discrètement vers l’ardoise disposée sur le comptoir. Heureusement, le menu n’était pas suffisamment varié pour qu’il s’appesantisse dessus ; il tenterait cette purée de châtaigne et la soupe aux champignons. Il patienta ensuite en laissant son esprit s’évader, hypnotisé par la flamme dansante de l’unique bougie au centre de la table.
– Bonjour…
Le mot le tira de sa torpeur. Sûrement s’était-il échappé des lèvres frémissantes de cette très jeune femme, qui venait d’apparaître à la table du garçon. Elle le fixait de ses grands yeux ambre vacillants. À en juger son long tablier et ses cheveux safran attachés, elle travaillait ici.
– Bonsoir, répondit Ice sans vouloir la corriger.
– Euh… elle hésita, c’est pour manger ?
– Bah, tant qu’à faire… 
De deux choses l’une : ou bien ce sarcasme était de trop, ou bien la demoiselle était particulièrement timide ; c’est tout du moins ce qu’insinuait sa petite moue gênée. Ice passa donc sa commande en tentant de rester agréable pour ne pas la déstabiliser davantage. La serveuse laissa son client de nouveau seul à table, déjà replongé dans sa contemplation. Elle revint une écuelle à la main, une carafe d’eau dans l’autre, avant d’amener la purée, un verre et un morceau de pain lors d’un second voyage.
La jeunette lui souhaita bon appétit. Quel euphémisme ! Ice engloutit son repas comme le carnaubre aurait dévoré l’écureuil de tout à l’heure. Ce fut l’affaire de quelques minutes. Aussitôt rassasié, la serveuse réapparut devant lui.
– Avez-vous terminé ?
Ice considéra ses assiettes vides, l’air perplexe.
– Je crois, oui…
La serveuse grimaça de nouveau ; c’était donc le sarcasme. Elle débarrassa la table en une fois puis souhaita une bonne soirée à son hôte. L’adolescent s’étira, et se dirigea à son tour vers le comptoir afin de payer l’ardoise. La tenancière échangea sa place avec la jeunette, ce qui permit à Ice d’établir comme un air de famille entre les deux… leurs cheveux avait cette même teinte orangée.
– Cela fera cent trente astras, demanda la tenancière sans autre préambule. 
– Bien s…
L’expression d’Ice se figea. Il tapota énergiquement les poches de son pantalon avant de poser d’un air contrit sa paume sur son front. Il avait oublié son portefeuille dans sa chambre ! Les sourcils de la gérante se froncèrent, effaçant au passage tout doute possible sur le fameux lien de parenté. Assommer ces dames ou s’enfuir en courant risquaient de lui attirer des retours un tant soit peu défavorables dans l’appréciation de son examen. Pas le choix : il devait se résigner à marchander l’un de ses précieux orbes de feu. Or, c’est en la fouillant qu’Ice remarqua que la sacoche offerte par Diggs était plus remplie qu’il ne le pensait. Intrigué, il extirpa l’objet dont le toucher lui rappelait le daim.
Ice arbora un large sourire de soulagement quand il reconnut son portefeuille. Il s’empressa d’en extraire quelques pièces et l’un de ces fameux billets roses, illustrés d’une étoile en son centre. Dans la brusquerie de son mouvement, il avait également retiré un bout de papier plié en quatre. Une fois le paiement effectué, il déplia la note.

« Après tu diras encore que c’est moi le gaffeur ? ».

Le message n’était pas signé mais le petit geste de tête que venait d’effectuer Ice en disait long.