J'ai profité de l'occasion pour m'entraîner à la narration à la première personne. Pour le coup, j'ai choisi Diggs comme protagoniste, dont la gouaille me motivait bien. L'extrait se déroule alors du point de vue du meilleur ami d'Ice, lui aussi parti parcourir Occide pour son examen, accompagné de sa camarade : Azur.
– Raah…
Merde. Ça m’a
échappé. Les borborygmes qui retentissent sous ma brioche font déjà suffisamment
de boucan pour que je me permette de râler par-dessus. Ajoutons à cela que
c’est entièrement à cause de bibi si l’on se retrouve en pleine cambrousse sans
la moindre ration, et j’ai toutes les raison de ne pas la ramener. Saletés de
lougliers… Juste un petit moment d’inattention aura suffi pour que je retrouve
l’extérieur de notre campement comme un lendemain de soldes. Inventaire de nos
denrées : Nada ! Que dalle. Walou. C’est qu’elles sont voraces ces
saloperies ! Bon, laisser la nourriture à l’extérieur de la tente durant
la nuit entière ne représentait pas non plus l’idée du siècle…
– L’est
superbe ce fleuve.
J’en ai rien
à foutre du fleuve, mais ce silence est pesant. Devant moi, Azur acquiesce d’un
hochement de tête. Son regard se jette par-dessus son épaule gauche, glissant
sur la surface lisse du cours d’eau. Mes yeux quant à eux, trouvent meilleur
spectacle dans l’ondoiement de sa longue chevelure céruléenne, caressant les
herbes de la berge au rythme de la brise. Ce n’est pas seulement l’angle de
vue, j’en ai testé des biens plus intéressants. Son regard, son visage, ses
cheveux, ses formes… Si sa beauté avait une saveur, il y a longtemps que je
m’en serais fait péter le bide.
Encore des
gargouillis. Je me surprends à remarquer qu’il ne s’agit pas des miens.
– T’as les
crocs toi aussi, hein ? On marche depuis des heures.
Aucune
réponse, pas le moindre geste de tête. Je te connais Azur, tu détestes mentir
alors tu ne diras pas non. Comme tu ne diras pas oui non plus, de peur que je me
sente responsable à cause de ce qui s’est passé hier. À notre réveil
d’ailleurs, tu ne m’as adressé aucun reproche ni la moindre grimace.
À quoi
penses-tu Azur ? Maudit soit ce jour où ta voix a disparu en même temps
que ton sourire ! Depuis, j’ai du mal à ne pas m’en vouloir d’être
amoureux. Mais rien à faire, chaque fois que je tente de te rendre heureuse,
j’y vois une opportunité pour me rapprocher de toi. J’ai parfois les boules que
mon ordre des priorités s’inverse.
C’est moi qui
pense trop. Tant que ça nous est profitable à tous les deux, autant joindre
l’utile à l’agréable. Faut que je rattrape ma bévue d’hier soir !
– Allez, faisons
une pause ! je lui propose, en effaçant d’un trot le mètre qui nous
sépare.
Un bras
enlaçant ses épaules, je tends le second pour lui désigner un arbre près de la
rive.
– Je me
charge de trouver quelque chose à grailler. T’as qu’à te la couler douce en
attendant. Parlant de couler… pourquoi t’en profiterai pas pour te
baigner ? Promis je regarderai pas !
Plus gros
comme mensonge, tu meurs. Elle me hausse un sourcil, doublé d’une moue
ironique. J’en suis ravi. Du coude, je lui donne une bourrade avant de
l’abandonner au pied de l’arbre.
En vrai,
j’aurais été incapable de trouver à bouffer dans ce trou paumé. Mon assurance
venait de ce pêcheur que j’avais aperçu au loin. Y va bien me filer une ou deux
poiscailles, non ? Quoiqu’il doit être immunisé au regard de merlan frit…
C’était sans compter
ma carte de D.O. Le mec se mouille même pas à la lire en plus ! m’élevant
direct au rang de Défenseur confirmé. Non pas que ça me dérange, mais tout mon
speech sur la jeune fille affamée tombait finalement à l’eau. Le revers de
cette chance, c’est que ce gugusse est bredouille. Alors je m’assieds au bord du
ponton, entre sa chaise pliable et sa glaciaire qui pue. Le gars a l’air
content, à en croire son débit de paroles. Il me raconte ce qui l’a mis à la
pêche, en quoi ça l’aide à ne faire qu’un avec la nature… Je m’en bats les flancs,
mais d’une force ! Mais comme j’ai besoin de bouffer, je fais mine de
partager sa passion. Quand il me parle de sa ligne à deux de doigts de casser,
je m’assure que ça n’arrive pas en lui insufflant une bonne grosse dose de
mana. Le gars me zieute avec des soucoupes comme ça, avant de me remonter
une bestiole de la taille de mon tronc. Si avec ça, Azur me saute pas au
cou ! Quant au gars, il se sent tellement plus pisser qu’il insiste à m’offrir
sa canne. J’accepte, j’ai pas envie qu’il me tienne la jambe pendant une
plombe.
Quand je lui
tends ma pêche miraculeuse sous le nez, Azur vire au blanc linge. Evidemment
qu’elle est dégoûtée, elle est végétalienne, connard. Bien ouej, Diggs. Bien
ouej. Je sais pas quoi faire d’autre pour me rattraper si ce n’est rejeter le
cadavre à la flotte. Aussitôt, la ligne de la canne se tend. J’ai oublié de
détacher le pichon… Je tente de le remonter, jusqu’à ce que je me rende compte
que ce con vient de servir d’appât pour quelque chose de bien plus gros. Un
truc suffisamment maous pour m’emporter au fond du fleuve. La logique aurait
voulu que la ligne casse, heureusement j’avais eu la glorieuse idée de la
renforcer. Une ombre (pas le poisson)
m’étreint, et je suffoque doublement.
Je rouvre les
yeux, réveillé par une chaude sensation étreignant mes lèvres. Le visage d’Azur
m’apparait en gros plan, mort d’inquiétude. Et moi, je suis de nouveau pris en
tenaille entre la satisfaction et le regret.