vendredi 19 mai 2017

Journée de pêche

L'extrait qui suit est un défi relevé sur le forum de bêta-lecture Cocyclics. Les conditions étaient les suivantes : écrire un texte ne dépassant pas les 5000 secs (signes espaces compris) avec pour thème suivant : "journée de pêche". Autant dire qu'en tant qu'auteur d'un cycle de fantasy, la concision n'est pas mon fort, mais je reste tout de même satisfait du résultat.

J'ai profité de l'occasion pour m'entraîner à la narration à la première personne. Pour le coup, j'ai choisi Diggs comme protagoniste, dont la gouaille me motivait bien. L'extrait se déroule alors du point de vue du meilleur ami d'Ice, lui aussi parti parcourir Occide pour son examen, accompagné de sa camarade : Azur.

– Raah…
Merde. Ça m’a échappé. Les borborygmes qui retentissent sous ma brioche font déjà suffisamment de boucan pour que je me permette de râler par-dessus. Ajoutons à cela que c’est entièrement à cause de bibi si l’on se retrouve en pleine cambrousse sans la moindre ration, et j’ai toutes les raison de ne pas la ramener. Saletés de lougliers… Juste un petit moment d’inattention aura suffi pour que je retrouve l’extérieur de notre campement comme un lendemain de soldes. Inventaire de nos denrées : Nada ! Que dalle. Walou. C’est qu’elles sont voraces ces saloperies ! Bon, laisser la nourriture à l’extérieur de la tente durant la nuit entière ne représentait pas non plus l’idée du siècle…
– L’est superbe ce fleuve.
J’en ai rien à foutre du fleuve, mais ce silence est pesant. Devant moi, Azur acquiesce d’un hochement de tête. Son regard se jette par-dessus son épaule gauche, glissant sur la surface lisse du cours d’eau. Mes yeux quant à eux, trouvent meilleur spectacle dans l’ondoiement de sa longue chevelure céruléenne, caressant les herbes de la berge au rythme de la brise. Ce n’est pas seulement l’angle de vue, j’en ai testé des biens plus intéressants. Son regard, son visage, ses cheveux, ses formes… Si sa beauté avait une saveur, il y a longtemps que je m’en serais fait péter le bide.
Encore des gargouillis. Je me surprends à remarquer qu’il ne s’agit pas des miens.
– T’as les crocs toi aussi, hein ? On marche depuis des heures.
Aucune réponse, pas le moindre geste de tête. Je te connais Azur, tu détestes mentir alors tu ne diras pas non. Comme tu ne diras pas oui non plus, de peur que je me sente responsable à cause de ce qui s’est passé hier. À notre réveil d’ailleurs, tu ne m’as adressé aucun reproche ni la moindre grimace.
À quoi penses-tu Azur ? Maudit soit ce jour où ta voix a disparu en même temps que ton sourire ! Depuis, j’ai du mal à ne pas m’en vouloir d’être amoureux. Mais rien à faire, chaque fois que je tente de te rendre heureuse, j’y vois une opportunité pour me rapprocher de toi. J’ai parfois les boules que mon ordre des priorités s’inverse.
C’est moi qui pense trop. Tant que ça nous est profitable à tous les deux, autant joindre l’utile à l’agréable. Faut que je rattrape ma bévue d’hier soir !
– Allez, faisons une pause ! je lui propose, en effaçant d’un trot le mètre qui nous sépare.
Un bras enlaçant ses épaules, je tends le second pour lui désigner un arbre près de la rive.
– Je me charge de trouver quelque chose à grailler. T’as qu’à te la couler douce en attendant. Parlant de couler… pourquoi t’en profiterai pas pour te baigner ? Promis je regarderai pas !
Plus gros comme mensonge, tu meurs. Elle me hausse un sourcil, doublé d’une moue ironique. J’en suis ravi. Du coude, je lui donne une bourrade avant de l’abandonner au pied de l’arbre.

En vrai, j’aurais été incapable de trouver à bouffer dans ce trou paumé. Mon assurance venait de ce pêcheur que j’avais aperçu au loin. Y va bien me filer une ou deux poiscailles, non ? Quoiqu’il doit être immunisé au regard de merlan frit…
C’était sans compter ma carte de D.O. Le mec se mouille même pas à la lire en plus ! m’élevant direct au rang de Défenseur confirmé. Non pas que ça me dérange, mais tout mon speech sur la jeune fille affamée tombait finalement à l’eau. Le revers de cette chance, c’est que ce gugusse est bredouille. Alors je m’assieds au bord du ponton, entre sa chaise pliable et sa glaciaire qui pue. Le gars a l’air content, à en croire son débit de paroles. Il me raconte ce qui l’a mis à la pêche, en quoi ça l’aide à ne faire qu’un avec la nature… Je m’en bats les flancs, mais d’une force ! Mais comme j’ai besoin de bouffer, je fais mine de partager sa passion. Quand il me parle de sa ligne à deux de doigts de casser, je m’assure que ça n’arrive pas en lui insufflant une bonne grosse dose de mana. Le gars me zieute avec des soucoupes comme ça, avant de me remonter une bestiole de la taille de mon tronc. Si avec ça, Azur me saute pas au cou ! Quant au gars, il se sent tellement plus pisser qu’il insiste à m’offrir sa canne. J’accepte, j’ai pas envie qu’il me tienne la jambe pendant une plombe.

Quand je lui tends ma pêche miraculeuse sous le nez, Azur vire au blanc linge. Evidemment qu’elle est dégoûtée, elle est végétalienne, connard. Bien ouej, Diggs. Bien ouej. Je sais pas quoi faire d’autre pour me rattraper si ce n’est rejeter le cadavre à la flotte. Aussitôt, la ligne de la canne se tend. J’ai oublié de détacher le pichon… Je tente de le remonter, jusqu’à ce que je me rende compte que ce con vient de servir d’appât pour quelque chose de bien plus gros. Un truc suffisamment maous pour m’emporter au fond du fleuve. La logique aurait voulu que la ligne casse, heureusement j’avais eu la glorieuse idée de la renforcer.  Une ombre (pas le poisson) m’étreint, et je suffoque doublement.


Je rouvre les yeux, réveillé par une chaude sensation étreignant mes lèvres. Le visage d’Azur m’apparait en gros plan, mort d’inquiétude. Et moi, je suis de nouveau pris en tenaille entre la satisfaction et le regret.

dimanche 15 janvier 2017

Extrait #7 : La menace diaphane.

De retour à l’extérieur, l’adolescent se mit à la recherche d’un plan de ville. Il ne tarda pas à trouver son bonheur au centre d’une petite place. D’après la carte, la cité se décomposait en quelques grands quartiers, selon une structure pyramidale, tout autour du mont Wyn. Le secteur administratif se situait quant à lui dans la partie supérieure de la ville, accessible en train ou en monorail. Ice opta pour la seconde option, plus longue mais moins coûteuse. Il se dirigea sur l’un des quais surélevés, où allaient et venaient s’arrêter d’étroits wagons, glissant sous les larges poutres qui serpentaient Blanche-Cité. Une cité immense pour un nombre immense de transports… La Forêt de Péridot ne lui avait pas paru aussi labyrinthique. Au moins, là-bas, il avait dû compter sur ses pieds qui le guidaient là où il décidait d’aller.
Une navette arriva. Ice se rapprocha d’un pas hésitant, soudain assailli par le doute. Finalement, il préféra faire demi-tour pour s’assurer une énième fois de son itinéraire auprès d’un passant. Cela devait bien faire la dixième personne lui confirmant ce trajet… Soit. Mais tout de même ! La manière naturelle avec laquelle ils avaient tous acquiescé pouvait très bien avoir été un gage de désinvolture ! Ice soupira, crispé. Tant pis, il devrait s’en assurer tout seul.
Cinq minutes plus tard, à laisser l’adolescent en proie à ses hantises, le quai accueillit une nouvelle desserte. Ice s’aventura à bord du monorail, les yeux rituellement fixés entre la liste électronique des arrêts et les vitres du wagon vide. Les portes coulissèrent et la navette reprit son ascension. Sans rails sur lesquels s’allonger, celle-ci semblait tout bonnement s’envoler. Ice laissa l’altitude et le panorama le griser, oubliant peu à peu cette sensation acide qui lui rongeait jusqu’ici les tripes.
Le mont Wyn se dressait en une véritable tour urbaine, non moins naturelle : un géant minéral, corseté par le fer, le ciment et l’acier. Le génie humain s’était toutefois abstenu de conquérir le pic enneigé, comme le démontraient ses plus hauts versants, encore vierges.
Ice continuait de contempler la ville depuis son aplomb, quand une vision insolite capta subitement son attention : celle d’une avenue entièrement prisonnière sous d’épaisses couches de glace. Le froid avait avalé trains, métros, et autres wagons dans un immense estomac diaphane, engouffrant jusqu’à la toiture des bâtiments. Ice cheminait d’un regard hagard les immenses plaques de givres qui tapissaient les rues et recouvraient les façades. Celles-ci semblaient converger autour de plusieurs tunnels ferroviaires, encagés derrière de longues canines glaciales. Toutefois le gel n’avait pas tout pétrifié, comme le témoignaient les nombreux engins utilitaires ferraillant aux quatre coins du quartier. Quartier administratif qui plus était, dans lequel l’adolescent arrivait enfin. Sur le quai, Ice hésita. Lui valait-il mieux se rendre aux bureaux de l’Égide, ou passer en premier lieu à la mairie ? La mairie était plus proche.
Le hasard avait voulu que cette zone ait été épargnée des ravages. Dommage, l’épéiste se faisait une joie de progresser entre les murs congelés. La municipalité de Blanche-Cité n’avait rien de comparable à celle de Tal, qui à côté, avait l’air d’un simple chalet. Celle de la cité ressemblait bien plus à un manoir, sur lequel on avait placé les armoiries de la ville, bien en évidence, sous la forme de drapeaux ornés d’une corne d’abondance, accrochés haut sur la façade du bâtiment.
Le garçon fut, pour changer, aussitôt remarqué dès son entrée dans le hall. Un homme, aux allures de majordome, l’interpellait déjà.
– Ah, vous êtes là !
Ice se désigna du doigt, l’air badaud.
– Euh, moi ?
– Vous, monsieur. L’Égide nous a confirmé la visite d’un Défenseur, et vous êtes assidûment ponctuel. Le maire vous attend.
L’homme tendit le bras pour désigner un escalier tapissé. Ice haussa les épaules et se laissa accompagner. Décidément, l’Égide s’assurait toujours d’avoir une longueur d’avance. Il n’avait même pas eu besoin d’utiliser son TRM pour les contacter ! Tant mieux, ce gadget lui avait sérieusement pris la tête quand il avait tenté d’envoyer son dernier rapport.
Une fois l’étage traversé, le secrétaire frappa à l’ultime porte d’un couloir, avant d’annoncer le Défenseur d’Ozma. Une voix stricte et formelle traversa la cloison.
– Faites-le entrer !
– Je vous en prie, s’exprima le gentilhomme avec un petit geste de main.
Ice le remercia et pressa la poignée.