mercredi 6 avril 2016

Fantasme

Sans détours, voici la seconde version que je vous ais promis dans le précédent billet. Vous remarquerez qu'elle est beaucoup plus longue, en raison des personnages qu'elle fait intervenir, eux même auteurs de dialogues et protagonistes d'un drame.

En joie :

Chapitre 1
Le départ

– Papa, tu nous racontes l’histoire du monde ?
– Tu me sembles bien trop agité, jeune homme.
– Allez quoi ! Toi aussi, tu veux l’entendre ? Hein Ice ?
Mon grand frère, tout à coup inquiet, cesse de vibrionner sous sa couette pour me fixer d’un air suppliant. Je lui réponds par un timide hochement de tête, emmitouflé moi aussi dans la douce tiédeur de mes couvertures. Attendri, mon père pousse un léger soupir. Il se résignera une fois de plus à jouer les conteurs pour cette nuit.
– D’accord, annonce-t-il, ferme le volet. Ah, et la fenêtre aussi. Je t’ai déjà dit qu’Ice était encore trop petit, il risque d’attraper froid.
– Et moi je dis que c’est pas logique, si tous les habitants d’ici sont bénis par le froid, alors les enfants aussi… conteste aussitôt mon grand frère presque insolent.
Papa n’a pas besoin de froncer les sourcils pour le convaincre d’obéir, seulement de croiser les bras. Sans plus d’entêtement, mon frère s’exécute et se lève sur son matelas. Le dos courbé par-delà la fenêtre, il vient agripper le bord du battant en bois après quelques secondes à être resté immobile, le regard sûrement perdu dehors, parmi les reflets lunaires qui s’épandent à cette heure-ci le long des rues tapissées de glace. Les rayons de l’astre d’argent se dissipent peu à peu alors que le volet se ferme, ne laissant plus que la lumière tamisée de la lampe de chevet éclairer notre chambre. À côté d’elle, papa s’assied, par terre, entre nos deux lits.
– C’était il y a très très longtemps… il commence à raconter, sans ouvrir le moindre livre.
Il marque une pause, mon frère arbore son sourire impétueux et moi je m’agriffe à mon duvet. Assuré de notre attention, il reprend :
– … d’un temps où même les premières neiges n’étaient pas encore tombées. Gaïa notre belle planète était vide, déserte, désolée : une étoile sans éclat ni couleurs… il ponctue d’un air inquiet. C’est alors que surgirent du néant deux astres sublimes ! 
Papa vient d’illustrer sa phrase d’une voix haute, tout en nous présentant ses mains.
– L’un brillant comme l’or : Sol, annonce-t-il en ouvrant la gauche.
Au même instant, une très jolie sphère ambrée s’illumine au-dessus de sa paume.
– L’autre luisant comme l’argent : Luna, déclare-t-il avec une seconde étoile dans la main droite.
Fébrilement, j’essaie d’attraper cet orbe nacré qui lévite devant moi. Mais la jolie balle, tout comme sa jumelle devant la mine amusée de mon aîné, nargue mes doigts pour finalement s’échapper vers le plafond.
– Émus devant la pauvre Gaïa, si terne et si triste, Sol et Luna décidèrent d’agir en faisant appel à leurs pouvoirs divins…
À cause des deux volutes qui captivaient notre regard, mon frère et moi n’avons pas remarqué le décor de notre chambre en train de se transformer, jusqu’à ce que leur lumière nous aveugle dans un puissant halo. Les yeux aussitôt rouverts, nous nous retrouvons au beau milieu d’une prairie sous un ciel clair et serein, tandis que Papa continue à raconter :
– … et insufflèrent la vie à notre chère planète. C’est ainsi, qu’océans, forêts et montagnes inondèrent sa surface…
Les images s’enchaînent au même rythme que ses mots ; et moi, emporté au cœur de ce spectacle grandiose, je tends mes petits bras à l’extérieur de mon lit contre lequel s’abat une mer houleuse, pourtant incapable de le faire tanguer, à l’instar du vent soufflant entre mes draps secs sans jamais pouvoir les soulever. 
– … en amenant en leur sein les êtres qui les peuplent encore de nos jours.
Et alors que poissons et oiseaux apparaissent tout autour de nous, fendant ciel et eau, je me concentre sur les yeux de Papa, posés tour à tour sur mon visage et celui de mon frère. L’océan sur lequel il est assis se retire pour de nouveau laisser place à la terre, où émergent soudainement sentiers et routes pavées, menant au loin vers ce que nous reconnaissons comme des villages. Enfin, Papa se lève et nous invite à pencher comme lui, notre menton vers le ciel. 
– Leur œuvre accomplie, il poursuit de sa voix imperturbable, Sol et Luna exprimèrent leur vœu de rester veiller auprès de Gaïa. Ce faisant, les jumeaux divins se séparèrent. Postés chacun à l’autre bout du monde, ils entamèrent leur ronde éternelle. Ainsi naquirent le jour et la nuit.
Toujours avec le même envoûtement, nous contemplons le dégradé de l’éther fondre tantôt vers un azur flamboyant, tantôt vers un rideau de jais scintillant.
– Les deux dieux furent prévenants, car de crainte que la nature flétrisse, que ses enfants faiblissent, ils bénirent Gaïa de six Grands Esprits. Grâce à ses nouveaux gardiens, le monde s’emplit d’une immense et fabuleuse énergie, nommée mana par nos plus vieux ancêtres.
Mon grand frère s’est volontiers mêlé à l’aura luminescente qui jaillissait entre les roches et les herbes, en matérialisant lui aussi une légère brume cristalline dans le creux de ses mains. Je ne sais pas en faire autant, alors je comble son orgueil en le fixant d’un œil envieux, avant qu’il ne perde la face devant six éclats colorés.
– Parmi les six Esprits, Sol avait envoyé ceux de la Terre, de l’Eau et du Feu ; quant à Luna : ceux du Vent, de la Foudre et de la Glace.
– C’est lui qui a créé notre pays ! interrompt tout à coup mon aîné.
– Pas tout à fait, rétorque mon père, sans perdre le charisme de son ton narratif. Car dès leur arrivée sur Gaïa, les six Esprits se firent chacun un ami. Ces bienheureux Gaïens, à la faveur de leurs protecteurs, héritèrent gloire et prospérité. Leurs familles devinrent rapidement des clans à la tête de six grands pays que l’on connait encore aujourd’hui, à l’image de nos chères Terres de Glace et ses voisines les Terres de Feu.
Papa termine sa phrase et la terre explose à l’horizon. J’entends son cri, et je la vois vomir son sang bouillonnant par-delà ses plus hauts sommets. D’autres montagnes surgissent vers nous, les fracas sont de moins en moins sanglants et leurs frères aux cols ardents disparaissent finalement derrière des cimes d’albâtre. Je reconnais ma patrie ensevelie sous les flocons de neige et les cristaux de glace ; ma ville apparaît parmi les versants qui s’agrandissent ; j’en aperçois maintenant les rues, elles se dessinent entre les façades de mes voisins et continuent dans notre direction ; à cet instant le volet de ma chambre se referme, nous laissant de nouveau tous les trois dans l’intimité lumineuse de ma lampe de chevet.
– Allez ! Au dodo ! s’exclame Papa.
– Quoiiii ? s’insurge mon frangin. T’as pas terminé ! Et l’Eclyps alors ?
– Tu cherches à terroriser ton petit frère ?
– Bah justement, à son âge il doit pas bitter la moitié de tes phrases.
Papa soupire, et comprend à travers mon regard innocent qu’il n’a pas vraiment tort.
– Très bien, dit-il d’un nouvel air résigné. Mais pas de psy-énergie, ton imagination suffira. Je ne tiens pas à le traumatiser.
Il s’assied donc aux côtés de mon frère, sur le bord de son lit. Avec une expression soudainement bien plus grave, il poursuit son histoire :
– Malheureusement, les Gaïens furent incapables de fonder leur foi sous les auspices de l’harmonie. En leur Dieu et Déesse ils virent deux rivaux, plutôt que deux parents. De cette division naquirent deux Églises, Solarienne et Lunarienne, se vouant l’une pour l’autre une haine inextinguible. Commencèrent d’inlassables conflits qui, durant des millénaires, souillèrent Gaïa de larmes de sel et de sang.
Je n’ai pas suivi. Mon père a-t-il volontairement employé un vocabulaire encore plus compliqué, afin que je ne puisse rien saisir ? J’ignore s’il en est de même pour mon grand frère, mais ce dernier semble toujours aussi captivé, comme le montrent ses mains cimentées sur ses draps.
– Sol et Luna, affolés devant tel chaos, ne savaient plus vers quoi se tourner. Quand un jour, l’irrémissible se produisit : dans leur course folle, les deux astres divins venaient de se percuter. À la suite de cette terrible collision, le ciel s’enténébra et les dieux disparurent, remplacés par un spectre informe, inénarrable. Jamais le monde n’eut connu plus terrible désastre.
Mon père hausse le ton, cela suffit à me convaincre de me réfugier sous mes draps. Mais le mur duveteux n’est pas très efficace, sa voix parvient à mes oreilles, et ses images traversent mon esprit.
– La nature était déréglée, bouleversée, tourmentée. Pas même les Grands Esprits n’arrivaient à maîtriser l’ire des Éléments. Aujourd’hui encore, Gaïa se souvient des brasiers infernaux qui immolaient toutes vies, elle se rappelle que d’incessants blizzards pétrifiaient le temps, que la terre s’engouffrait sous des séismes abyssaux. Elle n’a pas oublié ses enfants regardant le ciel se déchirer derrière les plus violents cyclones, fuyant les villes martelées à grands coups d’éclairs, englouties alors jusqu’aux sommets des montagnes par de titanesques lames de fonds.
– « Car cette apocalypse fut à jamais retenue sous le nom d’Eclyps. Puisse-t-elle avoir scellé avec notre passé, les plus irrémissibles de nos péchés. » ponctue mon frère sur un air grotesquement solennel.
Mon père arque un sourcil, les lèvres aussi.
– Si tu la connais par cœur, pourquoi tiens-tu à ce que je te raconte cette vieille légende à chaque fois ?
– Bah, pour l’apprendre par cœur justement ! Tout le monde sur Gaïa la connaît, pas vrai ? Ce serait trop la honte si c’était pas mon cas !
– Oh la plupart ne connait que les grandes lignes, précise Papa. Chacun a sa propre façon de la raconter, l’important reste le fond.
Ai-je d’ailleurs compris le fond ? C’est peu probable, après tout je ne me pose même pas la question, je ne fais qu’émerger craintivement de sous mes draps. Mon frère par contre, prend le sujet à cœur et s’interroge :
– Dis papa, les gens dans le monde… ils en pensent quoi de tout ça ?
– Toutes sortes de choses, répond mon père. Certains y voient des faits, d’autres qu’une simple fable, mais tous tremblent à l’idée de jours si sombres. Reste à savoir avec quelle encre s’écrira la suite de cette histoire…
Je ne comprends toujours pas ce que papa raconte, et à en juger son expression perplexe, mon frangin non plus. Mon père reste silencieux, il a gardé cet air absent depuis qu’il s’est tu.
– Bon, dit-il finalement après s’être relevé, il faut dormir maintenant.
Mon frère acquiesce enfin, puis plonge énergiquement sous sa couverture. Il aura bien du mal à trouver le sommeil. Papa se penche au-dessus de notre commode, les doigts glissant sur l’interrupteur de la lampe. Dans la sombreur qui s’empare de ma chambre, je sens une caresse se déposer sur mes cheveux.
– Bonne nuit, nous souhaite-t-il.
Passé le seuil, sa silhouette s’efface dans l’entrebâillement de notre porte. J’entends sa voix s’estomper dans le couloir pendant qu’il s’adresse à Maman. Nous voilà tous les deux seuls, soumis aux ténèbres, attendant que le sommeil nous emporte. Mon frère pousse alors un soupir rêveur.
– Hé Ice… il fait, l’esprit ailleurs. Tu as déjà pensé à ce que tu veux faire plus tard ? Ce que tu veux devenir ou ce à quoi tu veux ressembler ?
Difficile, du haut de mes cinq ans, de répondre à de telles interrogations. Je me contente donc de marmonner un « non » d’une voix fluette.
– Moi, tout le temps. J’aimerai trop partir découvrir le monde, comme Enadijd, le héros des histoires que nous raconte papa. Tu sais quoi ! Je vais peut-être m’inscrire pour devenir DG au sein de l’Égide ! Il paraît que tu dois suivre un entraînement super dur dans des énormes écoles, et qu’à la fin, tu fais un très long voyage pour passer ton examen !
Évidemment, tout cela me sonne incroyablement compliqué. Je continue de l’écouter déballer tous ses fantasmes, sans oser l’interrompre.
– … c’est l’Égide qui a aidé Gaïa à se reconstruire, et ce sont les DG qui empêchent les guerres et qui nous protègent des monstres. Ah là là…
Si je ne peux pas le voir, son sourire, je l’entends. Cette béatitude m’intrigue, c’est pourquoi je décide de rejoindre mon frère au cœur de ses fantaisies. Quand un bruit sourd nous sort tout à coup de nos rêveries.
Le vacarme retentit de nouveau, puis encore. Je n’ai jamais rien entendu de tel. Ce n’est pas le tonnerre, le tonnerre ne me conduit pas sous ma couette, à trembler les bras croisés sous mon menton. Les éclats continuent, cette fois-ci des cris horribles les accompagnent. Pourquoi hurlent-ils à l’aide ? Je reconnais le grincement de mon volet, désormais ouvert. Peureusement, je décide alors de pointer mon nez au-dessus de ma couverture. Je découvre mon frère, figé devant la fenêtre. Des flammes dévorent l’horizon par-delà ses épaules, elles étendent leur spectre écarlate jusque sur les murs de notre chambre. Un autre hurlement vient de percer les braises, celui d’une femme, mais il s’étouffe soudain derrière des pleurs, qui se taisent eux aussi.
– Ils… ils les ont tué… bredouille mon frère, les mains crispées jusqu’aux coudes.
Il en a trop dit. Mes yeux chauffent à leur tour ; je ne peux plus contenir mes larmes. À ce moment-là, la porte s’ouvre dans un claquement brusque. Mon père en surgit et traverse la chambre en trombe. Il nous saisit tous les deux par les poignets puis nous précipite dans le couloir.
– Papa ! Papa ! répète mon grand frère d’une voix chagrine. Qu’est-ce qui s’passe ?
Mais moi je ne veux rien savoir. Je veux juste que mon père arrête de me faire mal au bras, que les gens dehors arrêtent de crier. Aucun de mes souhaits ne s’exauce, Papa continue de nous presser jusque dans le salon pendant que mon frère s’escrime à obtenir une réponse. J’aperçois Maman accourir vers nous. L’espace de quelques secondes, mon angoisse diminue tandis que je plonge le nez dans les plis de sa robe.
– Ils sont partout dans les rues, ils massacrent tout le monde sans distinction, elle s’explique à bâtons rompus. C’est trop dangereux de sortir ! 
– Il faut trouver un endroit où les mettre à l’abri ! l’interrompt Papa une dernière fois.
– Venez les enfants, dit-elle en nous prenant à son tour par la main.
Puis elle nous conduit d’un pas pressé dans la buanderie. Dans l’urgence, elle ouvre l’armoire séchante et nous place entre les cintres et les chemises. Là, elle s’accroupit face à nous et déclare :
– Ça va aller mes trésors.
Mais son visage éploré nous exprime l’inverse.
– Ce n’est qu’un vilain cauchemar.
Alors pourquoi nous sert-elle si fort dans ses bras ?
– Vous restez bien sagement ici et vous ne faites surtout pas de bruit, d’accord ?
Elle pose ensuite ses mains tremblantes chacune sur l’une de nos joues avant de nous enlacer une dernière fois. Je ne veux pas qu’elle me lâche, mais elle me prie de ne pas pleurer.
– Veille bien sur ton frère, demande-t-elle à mon aîné.
Le battant se referme. Nous revoilà dans le noir. Dès lors, le temps n’a plus cours. Mon frère est invisible et muet. Je n’ai que ses tremblements pour me rassurer. Les cris continuent dehors. L’attente est insoutenable. Combien de minutes, secondes, se sont écoulées ? Soudain, un bruit sec provient du salon. On est entré chez nous. Les supplications de mes parents résonneront bientôt à leur tour.
– Je refuse de rester planqué ici pendant qu’ils nous protègent !
Mon frère craque et bondit hors de l’armoire. Il fait toujours sombre, Maman a bien pensé à éteindre la lumière en quittant la pièce. Toutefois, la fenêtre et la pénombre qui s’y glisse me suffisent à le voir en train de serrer les poings.
– Je sais que Papa et Maman nous ont interdit d’utiliser la psy-énergie comme une arme, mais…
Il marque une pause, le bras levé devant lui. Des frissons viennent en même temps me parcourir la peau ; pourtant aucun courant d’air n’a pu pénétrer la pièce. Stupéfait, j’observe la multitude de cristaux de glace qui apparaît dans le creux de sa main, et qui s’étend par-delà ses doigts en une ligne fumante, grossissante et tranchante. Il brandit alors son coutelas de givre en direction de la porte. Avant qu’il ne parte, je m’agriffe à son pyjama.
– T’as peur de rester ici tout seul, hein… T’as raison, reste avec moi, j’te protégerai !
J’aimerais lui dire de ne pas y aller, mais les mots restent coincés au fond de ma gorge. Je veux faire demi-tour, malgré cela mes jambes refusent de répondre. Je suis spectateur de mes actions, encore. C’est trop tard, mon frère pousse la porte donnant sur le salon. Le point de non-retour est franchi, mon pouls s’accélère.
– Non…
Mon frère avance lentement. J’en suis incapable. Mon corps entier se met à vaciller, tandis que mes yeux remontent le plancher empourpré jusqu’aux corps entassés de mes parents.
– Pourquoi…
Mon frère lève son regard, il s’adresse à la silhouette menaçante qui surplombe leur corps.
– Pourquoi ? il répète.
Toujours derrière lui, je remarque que mes mains sont moites, mon front et mon dos aussi… j’ai l’impression d’avoir transpiré une nuit entière.
– Pourquoi vous avez fait ça ! il hurle, le visage déformé par une rage chagrine.
L’assassin se retourne, impassible.
– Nous suivons la volonté de Sol.
Mon frère vocifère sa rage tout en s’élançant vers le meurtrier. Mes membres continuent de vaciller, toujours plus fort, comme si quelqu’un me secouait Ma vision se trouble, pas assez pour m’épargner la suite. L’assassin brandit alors son sabre à la teinte grenat.

– Non ! s’égosilla Ice soudainement.
– Si ! Lève-toi feignasse ! Il est déjà dix plombes du mat’ !
Haletant, l’adolescent découvrit le visage railleur de son compagnon de chambrée.
– Diggs… il soupira, du haut de son lit superposé.
Ce dernier se tenait à quatre pattes au-dessus de lui, les cheveux longs ébouriffés et dans une tenue se résumant à un caleçon. 
– Le seul, l’unique. Une confession à me faire ?
Ice considéra l’allure débraillée de son colocataire avant de lui répondre :
– Ouais, heureux de pouvoir compter sur toi quand il s’agit de se réveiller tôt.
– Doucement l’ingrat ! C’est déjà pas mal que je te tire du lit ! rétorqua Diggs avant de regagner le sol d’un saut agile.
L’adolescent encore somnolent opta plutôt pour les échelons. En traversant la chambre, il frappa amicalement du poing l’épaule de Diggs qui se débarbouillait le visage au lavabo. Il s’arrêta ensuite devant la fenêtre, l’esprit encore un peu embrumé.
– J’aère, il annonça le doigt sur un interrupteur.
Instantanément la vitre disparut, telle une bulle que l’on aurait éclatée. Ice regarda au-delà, distrait par les battements d’ailes d’un oiseau en plein essor.
Au sud d’Occide, continent le plus à l’ouest du monde, le ciel était presque nu. Seulement quelques draps cotonneux, entre lesquels l’astre divin répandait un feu azuré au-dessus d’un océan de verdure. L’animal venait de quitter les murs blancs d’un colossal édifice où se réfléchissait l’éclat matinal. Il escalada les nombreux bâtiments mitoyens qui composaient son enceinte, abandonnant au passage quelques plumes sur leurs façades renflées et leurs toits en pente. Et si ces gigantesques pétales pouvaient bien faire office de perchoirs, il n’était pas question de s’y assoir.  Car de toutes les constructions qui formaient ce bien étrange et titanesque bourgeon, la bête ailée convoitait la plus haute : cette tour trônant en son centre, semblable au pistil. Mais l’oiseau, oisif, ignorait que seul un directeur pouvait prendre siège tout en haut de ces bureaux, ceux d’un Établissement de Formation de Défenseur de Gaïa. 
L’oiseau ne savait pas que, ce 3 Glacies 2533 du nouveau calendrier gaïen, débuterait le périple d’un garçon dans un monde en quête de Rédemption.



Pro-logue ?

Il est temps de dépoussiérer un peu ce journal numérique, et quoi de mieux que de vous faire participer un peu en glanant quelques uns (ou nombreux, soyons rêveurs) de vos avis.

Je tiens au passage à m'excuser pour le manque de contenu et l'irrégularité de mes interventions. Je dois avouer qu'il n'a jamais été dans mes projets d'y rédiger fréquemment, compte tenu du côté chronophage que peut exiger un journal web. Celui-ci a été créé dans un premier temps dans le but de donner à mon statut d'auteur une identité numérique, un lieu où l'on puisse me contacter et prendre connaissance de mes projets. Si vous souhaitez suivre mon avancement, prendre de mes nouvelles ou discuter avec moi, je vous invite à rejoindre ma page facebook. (Bien que je gage que la majorité d'ente vous lisant ces lignes ont été redirigé ici depuis cette page... )

Bien revenons à nos cornichons. Il y a deux semaines, je vous apprenais sur ladite page que j'étais confronté à un conflit d'idées. Suite à de nombreux retours de collègues auteurs, il s'est avéré qu'il serait salutaire d'éviter de commencer mon premier tome par un prologue. Comme ils s'apparentent à des pancartes indicatives, les prologues freinent bien souvent l'immersion du lecteur, lui, préférant la plupart du temps découvrir le cadre de l'histoire au fil du récit.
J'ai donc, comme première étape, remanier mon prologue en écartant l'aspect didactique et encyclopédique de la légende qui y est narrée, pour quelque chose de beaucoup plus lyrique ( pour les termes techniques : je suis passé d'une légende extradiégétique à une légende intradiégétique). 
Mes frères et sœurs de plumes ont salué l'effort et le résultat, toutefois sans jamais de détourner de l'idée que je gagnerais toujours à le supprimer.
À nouveau, je me suis attelé à la réécriture de mon incipit. À présent et bien que je pense déjà avoir fait mon choix, je me tourne vers toi ami(e) lecteur ou lectrice, pour m'enquérir de ton avis au sujet de ces deux versions.

Je commence donc par le prologue et le début du chapitre 1 (la deuxième version, bien plus longue, viendra dans un différent billet, histoire de ne pas surcharger celui-ci) :

Prologue
Cette histoire est celle de Gaïa. Gaïa est ronde, Gaïa est bleue, Gaïa est mère. Elle est une terre de vie, de mythes, de légendes. Au sein de ces innombrables récits apparaît sa genèse, transmise depuis une époque immémoriale et ainsi narrée :

« Jadis, du temps où rien n’avait encore commencé, existait déjà notre monde. Il demeurait à l’image de ce qui l’entourait, vide et sans couleurs. C’est alors que surgirent du néant deux astres sublimes : l’un brillant comme l’or, Sol ; et l’autre luisant comme l’argent, Luna. Émus à la vue pathétique de leur cousine, les jumeaux divins décidèrent d’insuffler la vie à l’étoile désolée que fût autrefois Gaïa. Les océans, forêts et montagnes inondèrent bientôt sa surface, amenant en leur sein les êtres qui les peuplent encore de nos jours. Or, de crainte d’une apparente fragilité, Sol et Luna envoyèrent six Grands Esprits pour veiller auprès de la nature et de ses enfants. Sol dépêcha les Esprits du Feu, de l’Eau et de la Terre ; Luna délégua quant à elle ceux du Vent, de la Glace et de la Foudre. Enfin, le monde issu de cet équilibre s’emplit d’une immense énergie à laquelle nos premiers ancêtres donnèrent le nom de mana.
Sol et Luna, une fois leur œuvre accomplie, se prirent d’affection pour les Humains et décidèrent de rester veiller auprès d’eux. Alors les jumeaux dans une parfaite symétrie entamèrent tous deux leur rituelle ronde autour de la planète bienheureuse. Ainsi naquirent le jour et la nuit. Charmés à leur tour, chacun des Esprits choisit d’apporter amour et protection à six humains et leurs proches. Six familles qui devinrent six clans, qui fondèrent ensuite six grands pays, soit six Terres bénies par des éléments distincts.
Malheureusement, les gaïens furent incapables de fonder leur foi sous les auspices de l’harmonie. En leurs Dieu et Déesse ils virent deux rivaux, plutôt que deux parents. De cette division naquirent deux Églises, Solarienne et Lunarienne, se vouant l’une l’autre une haine inextinguible. Commencèrent d’inlassables conflits qui, durant des millénaires, souillèrent Gaïa de larmes de sel et de sang. Aveuglés par leur haine, nos belliqueux ancêtres ignorèrent le chaos qu’ils avaient propagé par-delà même le ciel. Car dans l’éther impénétrable les dieux-astres ne tournaient plus ; ils s’agitaient, inconstants et confus. Quand l’inévitable se produisit : une collision, une fusion, une transformation, celle des dieux astres en un inénarrable spectre hybride émergeant au milieu d’un plafond enténébré, et amenant avec lui misère et calamités sur le monde. Nul ne put se soustraire à cette désolation, pas même les six esprits impuissants devant l’ire des éléments dont ils demeuraient jusqu’ici les maîtres et gardiens. Déchaînées, les forces de la nature ne firent preuve d’aucune merci. 
Gaïa se souvient des brasiers infernaux qui immolaient toute vie, elle se rappelle que d’incessants blizzards pétrifiaient le temps, que la terre s’engouffrait sous des séismes abyssaux. Elle n’a pas oublié ses enfants regardant le ciel se déchirer derrière les plus violents cyclones, fuyant les villes martelées à grands coups d’éclairs, englouties alors jusqu’aux sommets des montagnes par de titanesques lames de fonds.

Cette apocalypse fut à jamais retenue sous le nom d’Eclyps. Puisse-t-elle avoir scellé avec notre passé, les plus irrémissibles de nos péchés. »
A.A

Nous sommes le 3 Glacies 2533 du nouveau calendrier Gaïen, Sol et Luna voguent de plus belle le long de la voûte céleste, et chacun, enfant comme adulte, connait les grandes lignes de ce récit. Certains y voient des faits, d’autres qu’une simple fable, mais tous tremblent à l’idée de jours si sombres. Une seule question demeure : avec quelle encre Gaïa écrira la suite de son histoire ?

Chapitre 1
Le départ

Au sud d’Occide, continent le plus à l’ouest du monde, le ciel était presque nu. Seulement quelques draps cotonneux, entre lesquels l’astre divin répandait un feu azuré au-dessus d’un océan de verdure. Au cœur de cette étendue vierge siégeait un colossal édifice. Ses murs blancs réfléchissaient l’éclat matinal qui caressait son enceinte, composée de nombreux bâtiments mitoyens, aux façades renflées et aux toits en pente, leur donnant l’aspect de gigantesques pétales. Enfin, semblable au pistil, une tour trônait au centre de ce bien étrange bourgeon. 
Cette construction insolite avait pour nom EFDG, ou « Établissement de Formation des Défenseurs de Gaïa ». Et dans l’une des chambres de cette école dormait un garçon, dont les songes étaient tourmentés par de sinistres souvenirs. Sa mémoire redessinait un décor obscur. L’on devinait la sombreur nocturne à la lumière tamisée qui éclairait la pièce. Quelques commodes renversées jonchaient le parquet, ainsi qu’un cadre dont le verre brisé avait laissé s’échapper une photo de famille. Celle-ci représentait un homme et une femme main dans la main, derrière deux enfants s’amusant dans la neige. L’aîné se tenait debout près du cliché, poings et dents serrés. Il faisait face aux corps inertes de ses parents, allongés sur un plancher écarlate aux pieds d’une silhouette menaçante et souillée par le crime. 
Encore et toujours pris au piège dans cet épouvantable cauchemar, son petit frère se recroquevillait dans le coin de la pièce. On pouvait lire la terreur sur son visage humide et ridé tandis qu’il s’agitait dans son lit, prisonnier du passé. Avant son réveil, il expérimenterait une nouvelle fois la scène la plus solidement ancrée dans son esprit : celle où son grand frère vocifère haine et chagrin au meurtrier.
– Pourquoi vous avez fait ça ?!
– Nous suivons la volonté de Sol.
L’assassin brandit alors sa lame à la teinte grenat dans le but d’achever son méfait.
– Non ! s’égosilla brutalement l’adolescent.
– Si ! Lève-toi feignasse ! Il est déjà dix plombes du mat’ !
Haletant, le jeune homme découvrit le visage railleur de son compagnon de chambrée.
– Diggs… il soupira.