Hier, j’ai égaré un objet auquel je tenais énormément.
Mon bandeau, un simple morceau d’étoffe, qui s’avérait pourtant être mon bien
le plus précieux. Cela peut paraître ridicule j’y consens, mais cette perte m’affecte
au point de me plonger dans une profonde déprime. Mes proches n’y voyaient
sûrement qu’un banal bout de tissu rituellement noué autour de mon front, mais
en ce qui me concerne, il s’agissait d’un souvenir, d’un fétiche, d’un symbole.
Pour mieux vous expliquer sa valeur, il me faut remonter
bien avant son acquisition, à mes premières années de collège.
À cette époque, je découvrais pour la première fois l’un
des éléments de la culture ludique japonaise, aujourd’hui connu de tous : à
savoir le manga. Plus précisément, j’achetais mon tout premier manga papier :
Tokyo Underground. Dedans, le protagoniste, Lumina Asagi, avait pour signe
distinctif une très longue bande de tissu toujours attachée autour de son
front, et grâce auquel on le reconnaissait rapidement. Du haut de mes dix ou onze ans, ce bandeau s’élevait comme l’accessoire ultime, à la fois incroyablement
classe et symbolique. Je me mis alors à rêver que, moi aussi un jour, on puisse
lier ma réputation et mon talent derrière un tel accessoire. Ce sentiment s’est
davantage affermi avec la rencontre de Ike, le héros de Fire Emblem Path of
Radiance, porteur du bandeau et l’un de mes personnages de jeu vidéo favoris.
Évidemment et indubitablement, ce fétichisme influençait
mon œuvre naissante, celle faisant aujourd’hui le sujet de ce blog.
Ainsi, Ice Enadijd, le protagoniste de mon univers, se vit très vite habillé
d’un classieux bandeau bleu et blanc, qu’il obtiendra au cours de son aventure
(l’équivalent à l’époque du futur tome deux, en ce qui nous concerne). Jusque-là,
tout ceci avait trait à mon imaginaire.
Quand le dimanche 7 juillet 2013, je foulais pour la
première fois le sol japonais, réalisant alors l’un de mes plus grands rêves.
Une épopée de deux mois qui restera gravée dans mon esprit, et dans celui de
mes deux amis, Aurélien et David, avec qui j’ai eu le plaisir de partager cette
somptueuse aventure. Ce jour-là, la petite amie de David (et aujourd’hui son
épouse) : Maki, nous accueillit à l’aéroport de Narita afin de nous guider
jusqu’au cœur de Tokyo, là où nous avions rendez-vous. Dans la navette, Maki
nous offrit à chacun un cadeau, contenant une serviette traditionnelle japonaise
: un tenugui, et un éventail, histoire de nous préparer au climat étouffant en
cette période de l’année. Je ne retins de cette offre que l’intention, puisque
je laisserai traîner ingratement ce cadeau dans le coin de ma chambre chez ma
famille d’accueil. Pendant ce temps, les jours durant, je sillonnais les
magasins de mode en compagnie d’Aurélien à la recherche de ces fameux bandeaux
que je n’avais cessé de voir à travers mangas et jeu vidéo… en vain. C’est
alors que, en m’affairant dans ma chambre, je croisai du regard la fameuse
serviette que j’avais enroulé sur le bord de mon bureau. Bleu, aux motifs
blancs, et dont la longueur correspondait parfaitement à celle d’un bandeau.
Sans perdre un instant, je partis dans la salle de bain pour l’essayer. Je
fixai le miroir, l’étoffe autour du front, le sourire à la fois fier et béat. A
ce moment précis, Masami ma mère d’accueil s’arrêta devant la porte ouverte de
la salle de bain, et me dit : « 似合いますね! » (Niaimasu ne / ça te va
bien). Je ne peux pas m'empêcher de revivre cette scène dans ma tête comme un lieu
commun de film ou de dessin animé, là où le héros commence à s’affirmer
en tant que tel ; c’est à la fois stéréotypé, ridicule, amusant et
incroyablement grisant.
Masami m’apprit que ce que je venais de faire était un «
hachimaki », un terme qui désigne aussi bien le bandeau en lui-même que le
verbe signifiant ceinturer ou enrouler. Une coïncidence une nouvelle fois
amusante, quand je savais que celle qui m’avait offert l’objet se nommait
elle-même « Maki ». Ce que j’ignorais par contre, et ce qui rendait l’événement
encore plus saisissant, c’est que les tenugui, ces serviettes traditionnelles
japonaises, sont souvent utilisées à des fins esthétiques, les transformant
entre autres, en bandeau frontal. Pour quelqu’un comme moi, ne croyant ni en
dieu, ni au destin, or ni au hasard non plus, la vie prend parfois un sens particulièrement
intéressant.
Deux ans et plusieurs mois passèrent, sans que je ne me
présente le front découvert. Mais hier, lors de la célébration d’un repas de
noël dans les locaux d’une association sportive de jeux vidéo, je me rendis
compte que mon bien s’était détaché de mon chef. Ironie du sort, j’avais
exceptionnellement attaché mon bandeau à ma queue de cheval, plutôt que de le
serrer traditionnellement autour de ma tête. Il n’était plus là. L’avais-je
égaré sur la route en faisant les courses ? Je me souviens encore pourtant bien
m’être assuré toujours l’avoir sur moi, lors du retour au local. Me l’a-t-on
volé ? Est-il tombé précisément peu de temps après ma dernière inspection ?
Aucune trace, aucune… Même après avoir écumé les rues sombres de Lille aux
alentours de minuit ; même après avoir demandé à tous les passants, couples
âgés, jeunes gens pressés, et même à une prostituée, si aucun morceau d’étoffe
n’avait jonché le trottoir durant leur virée nocturne.
Voilà la raison pour laquelle aujourd’hui, je vous écris,
le moral au fond de mes chaussons.
Pour bien résumer : j’ai le seum, j’ai paumé mon doudou.